De notre correspondant à Houston,
C’est un complexe d’entrepôts accolés à des voies ferrées au cœur de Houston. Dans ces entrepôts se trouvent des centaines d’ateliers d’artistes. Et c’est ici que des photographes du monde entier se donnent rendez-vous tous les deux ans.
Mettre en valeur les œuvres et les idées
Cette année, ils sont près de 450, mais la plupart ne viennent pas pour exposer, mais pour présenter leur œuvre, leur portfolio. En effet, c’est au FotoFest qu’est née, en 1986, l’idée de mettre en relation professionnels et artistes. Aujourd’hui, plus de 150 agences de photos, commissaires d’expositions, conservateurs de musées et galeristes américains, mais aussi russes, européens ou asiatiques viennent au Texas pour échanger et découvrir de nouveaux talents.
Le FotoFest propose évidemment aussi des expositions. Près de 90 espaces disséminés dans la capitale mondiale du pétrole exposent des œuvres de photographes venus de 34 pays. Mais « cette Biennale met en avant des photographes qui ne sont pas encore reconnus et leur assure une plateforme pour mettre en valeur leurs œuvres et leurs idées », insiste Mark Sealy, le commissaire de l’exposition phare du FotoFest, Cosmologies Africaines. Il est membre d’Autograph APB, une agence qui portait auparavant un nom explicite : l’association des photographes noirs. Les artistes qu’il a choisis pour le FotoFest reflètent les orientations qui l’intéressent : les identités, les droits de l’homme, la justice sociale et le panafricanisme.
« Nous avons tous une responsabilité »
Wilfred Upkong a imprimé ses photos sur des toiles de peinture dans son atelier à Lagos et les a emmenées avec lui à Houston. Pour sa première exposition d’envergure, il présente une série de portraits photographiés au Nigeria. « J’utilise l’art comme un catalyseur du changement dans la région, explique-t-il. Cette série afro-futuriste mêle mythe, anticipation, rituels et philosophies africaines ». Le Franco-Nigérian Upkong a commencé ce projet en 2011 dans le Delta du Niger, au Nigeria. Ce qui est exposé est le résultat de six années de travail auprès de jeunes des communautés marginalisées dans la région de Port Harcourt. Le Delta du Niger regorge de richesses pétrolières, mais loin d’en voir les impacts financiers positifs, les habitants de cette région subissent une pollution environnementale, une corruption endémique et des conflits armés.
Le pétrole est symbolisé dans chacune de ses photos grâce à la saturation des couleurs rouge, noir et or, mais aussi dans un film qu’il présente où l’on voit ses personnages évoluer sur des plages engluées de mazout. « Pour changer ça, nous avons tous une responsabilité, insiste Wilfred Upkong. Il faut s’engager dans un développement durable et avoir un dialogue inclusif avec les multinationales installées là-bas ».
« Des vignettes, floues et décentrées »
Le Franco-Algérien Bruno Boudjelal est guide en Asie pour une agence de voyage française quand il décide de renouer avec sa famille qui vit en Algérie. Nous sommes en 1993 et ce pays est en pleine guerre civile. Deux jours avant de s’envoler pour Alger, un ami lui prête un appareil photo. Sur place, il réussit à faire des images, malgré les difficultés. De retour à Paris, Bruno Boudjelal est publié par Libération, Le Monde, le Monde Diplomatique, The Observer.
Son second projet est également le fruit d’un hasard. Deux ans plus tard, en 1995, il veut revoir sa famille en Algérie, sans être certain de vouloir faire des photos. Quelques jours auparavant, il rencontre un ami et sa fille qui joue avec un appareil photo en plastique qu’elle a obtenu dans un menu pour enfant de McDonald’s. Elle le lui prête. Il part avec cet appareil jaune en plastique, et ne sera jamais arrêté ou pris au sérieux par les policiers qui le contrôlent. « Ces photos sont des vignettes, floues et décentrées, ce n’est pas un choix formel comme le font certains photographes aujourd’hui. Mais elles sont issues de ma pratique de la photo dans les années 1990. »
Une série sur les « Harraga »
De 2009 à 2013, Bruno Boudjelal retourne en Algérie et fait plusieurs séries, deux sont exposées à Houston. Une série de photographie sur Frantz Fanon, le psychiatre né en Martinique qui était impliqué dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie avec le FLN et théoricien du tiers-mondisme et de l’anticolonialisme. L’autre série est un film sur les Harraga, les migrants qui se sont filmés eux-mêmes avec leur téléphone lors de leur traversée de la Méditerranée.
► FotoFest Biennial 2020, du 7 mars au 19 avril, à Houston, Texas, États-Unis.