Comment Vladimir Poutine est-il venu au pouvoir en 1999 ? L’histoire a été racontée des milliers de fois, mais jamais comme Vitaly Mansky. A l’époque, le cinéaste russe était bien établi dans les institutions officielles. Lors de la montée surprise de Poutine, il devait réaliser pour la télévision d’État russe un film à la gloire du nouveau président. D’où des archives inédites et saisissantes, tournées au bon moment dans les plus hautes sphères du pouvoir.
D’autant plus que 20 ans plus tard, Mansky a visiblement changé de camp. « Putin’s Witnesses » est un documentaire explosif sur les premiers mois de Poutine au pouvoir. Ses images, marquées souvent par une étrange intimité, n’expliquent rien, mais au travers ses allusions, elles aident à comprendre comment la Russie a basculé et s’est transformée en un système autoritaire au service de Vladimir Vladimirovitch Poutine.
« L’homme fort »
Lors de la campagne pour les élections en mars 2000, Poutine refuse de faire des débats à la télévision. En même temps, une série d’attentats attribués aux terroristes tchétchènes fait grimper sa popularité de deux à cinquante pour cent. Il devient l’homme fort qu’une majorité du peuple russe réclame.
Le documentaire ne se nourrit pas d’images spectaculaires, préfère montrer des images brutes, presque banales : on se retrouve le jour des éléctions en tête à tête avec Poutine, à table avec Boris Eltsine, dans le bureau de vote avec Gorbatchev. Ce dernier refuse de dévoiler pour qui il a voté. Eltsine s’enthousiasme de la victoire de Poutine qu’il réclame comme sa victoire, avant d’être obligé de constater que Poutine a « oublié » de le rappeler le jour de la victoire. Quant à Poutine, il déclare d’entrée face caméra la maxime de son futur règne : « Notre but principal est de faire croire aux gens à tout ce qu’on dit et fait. Et cela au service de la nation. »
« Les fantômes du passé »
Au fur et à mesure, « les fantômes du passé ressurgissent de plus en plus » remarque le réalisateur Vitaly Mansky dans son commentaire. Poutine rétablit l’hymne soviétique, pour « restaurer la confiance du peuple dans l’État », mais aussi pour exalter un passé glorieux qui doit surtout servir à cacher l'héritage lourd du totalitarisme comme le goulag, le pacte germano-soviétique ou la persécution des dissidents.
Pas à pas, Poutine impose un système de politique verticale exigeant une soumission totale, de la politique jusqu’à l’économie. Témoin des rencontres du cercle intime du pouvoir de Poutine, Mansky ausculte la composition et la décomposition du système politique établi par l'homme politique et constate sobrement : des fidèles de la première heure, personne n’est resté près du président, tous sont depuis entrés en opposition ou ont été défaits de leurs fonctions. Seul Dmitri Medvedev, le futur président et Premier ministre, a survécu.
« Être témoin »
Le véritable cœur du documentaire se révèle à la fin. Quand Vladimir Poutine explique dans son bureau présidentiel pourquoi il a rétabli l’hymne soviétique. Le réalisateur lui dit alors ouvertement ne pas partager son avis. Poutine lui rétorque laconique : « Vous devriez être accord avec moi. » On a compris. Dans le film, le cinéaste russe était bel et bien la seule personne osant encore contredire le nouveau chef d’État. Aujourd’hui exilé, Vitaly Mansky dit avoir « payé le prix pour avoir eu la naïveté de penser d’être seulement un simple témoin ».
LE PALMARES DU FIPADOC 2019 :
Grand Prix Documentaire international : Putin’s Witnesses (Lettonie, République tchèque, Suisse), de Vitaly Mansky.
Grand Prix Documentaire national : Quelle folie, de Diego Governatori.
Grand Prix Documentaire musical : The 5 Browns : Digging through the Darkness (Etats-Unis) de Ben Niles.
Prix CNC - Images de la culture (sélection Impact) : Coming Out (France), de Denis Parrot.
Prix Mitrani : Quelle folie (France), de Diego Governatori
Prix du Public : Maurice Béjart, l’âme de la danse (France), d’Henri de Gerlache et Jean de Garrigues.
Prix Challenge vidéo verticale INA/FIPADOC : Jusqu’ici tout va bien ?, pour l'équipe composée de Caroline Hocquard, François Prosper et Chloé Weiss.
Prix du Jury des Jeunes Européens : A Thousand Girls Like Me (France, Afghanistan), de Sahra Mani.
Prix Tënk : Raz, dwa zero (Pologne), d’Anna Pawluczuk.
Prix Erasmus + : La Bestia – Train of the Unknowns (Allemagne), de Manuel Inacker.
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