Sept auteurs ont relevé ce défi titanesque, qui consistait à revenir sur plus de 600 ans d’habitudes vestimentaires. Chapeautés par Denis Bruna et Chloé Demey, les jeunes chercheurs Astrid Castres, Pierre-Jean Desemerie, Sophie Lemahieu, Anne-Cécile Moheng et Bastien Salva ont mené un chantier qui n’avait pas été emprunté en France avec une telle ampleur depuis 1965. François Boucher avait alors publié son anthologique Histoire du costume en Occident.
Néanmoins, dans ce nouvel ouvrage qui vient de paraître aux Editions Textuel, les auteurs vont au-delà du récit chronologique. « On a eu envie de publier le livre qu’on aurait aimé lire et qui s’adresse à tout le monde. Aux non-spécialistes, aux gens curieux de l’histoire, des formes, des vêtements, de la culture et de la société en général », explique Chloé Demey.
Redresser les corps pour se distinguer
Selon les auteurs, les hommes et les femmes étaient vêtus de la même manière en Occident jusqu’aux années 1330. D’où le choix des auteurs de démarrer leurs recherches après cette date, afin de bien étudier les spécificités de genre qui ont marqué l’histoire des habitudes vestimentaires par la suite.
On comprend aussi comment, entre les XIVe et XIXe siècles, les corps des enfants étaient corsetés presque dès la naissance, afin de se redresser très tôt. « C’était pour l’aristocratie une façon de se distinguer par cette droiture et cette verticalité des gens du peuple, qui ne pouvaient pas porter ce genre de vêtements, parce qu’ils étaient obligés de travailler dans les champs et dans les rues. Par conséquent, leurs corps étaient beaucoup plus ronds et souples, faits de courbes et contrecourbes, avec des vêtements beaucoup plus larges », pointe Denis Bruna, qui aborde à sa façon les questions de classe et de genre.
Ce regard critique de la société est également présent dans les chapitres sur l’influence des grands groupes de luxe, l’apport des nouvelles technologies ou l’impact de la mode dans l’environnement. Sans oublier les origines mondialisées de la Société des ambianceurs et des personnes élégantes (SAPE). Cette mode a changé les couleurs des rues de Kinshasa et de Brazzaville dès les années 1960, avant d’inspirer à son tour des créateurs comme le Britannique Paul Smith en 2010.
La mode au-delà des marques
Riche de plus de 400 images historiques et textes plutôt courts sur chaque chapitre – amplitude chronologique exige –, ce projet se prétend différent des « coffee table books ». Ces beaux livres, qui envahissent les librairies, sont parfois produits par les propres griffes de luxe comme un véritable outil de communication.
« Ce n’est pas un livre de marque », insiste Chloé Demey. Même si les grands créateurs y sont cités, du Britannique Charles Frederick Worth - le père de la haute couture - à la Néerlandaise « post-moderne » Iris van Herpen, le name dropping habituel dans ce domaine a été évité. « On a voulu relativiser la place des marques par rapport à l’usage des vêtements dans l’ensemble de la population », souligne Chloé Demey, pour qui « les marques ne sont qu’un épiphénomène mis en avant par la presse magazine et très lié au marketing ».
Denis Bruna rappelle souvent à ses étudiants à l’École du Louvre, où il enseigne, qu’il faut se méfier du miroir déformant produit par la presse de mode. « Je leur dis souvent : achetez un magazine de mode et ensuite prenez le métro ou le bus. Vous ne verrez rarement des personnes habillées dans les transports comme elles le sont dans la revue de mode ».
La mode des élites, mais aussi celle du peuple
C’est aussi pour cette raison que l’historien ne se contente pas des parures des élites, comme c’est souvent le cas dans ce genre d’ouvrage. « On ne voulait pas parler de la mode, mais des modes, et montrer qu’on est obligé de s’habiller dans tous les groupes de la société », souligne-t-il.
Ainsi, le XIXe siècle n’est pas résumé à l’aristocratie ou la mode contemporaine au prêt-à-porter de luxe et la haute couture. La preuve par les pages où l’on redécouvre l’histoire du jean et du t-shirt, traitées avec la même rigueur que celle du tailleur Bar de Christian Dior. Sans oublier toute une partie très riche sur l’entretien des vêtements, de la façon dont il a été rangé au fil des années, jusqu’aux secouements dans les machines à laver modernes chez monsieur et madame lambda.
Histoire des modes et du vêtement – Du Moyen Âge au XXIe siècle, aux Éditions Textuel, 504 pages.