« Quand je donnais cours, j’avais mon pistolet Makarov dans mon sac de sport, toujours ouvert à mes pieds. J’avais l’œil constamment en alerte. Les lycéens devaient me trouver bizarre. »
Keorapetse Kgositsile me racontait ainsi ses années d’exil au Botswana. Il changeait tous les jours le parcours de son jogging et quittait le parking de l’école après ses collègues, afin de vérifier discrètement s’il n’y avait pas de bombe sous sa voiture. C’était une époque où les sbires de l’apartheid traquaient les opposants jusque dans les pays voisins. Il est décédé dans un hôpital de Johannesburg le 3 janvier 2018.
J’aime savoir l’origine des prénoms. Kgositsile m’avait expliqué que le sien, en setswana, signifiait « Nous te supplions ». Un ami à ses côtés avait alors complété « Nous te supplions de bien te conduire, après tout ce que nous avons fait pour toi ». Pour simplifier, ses camarades continuaient à l’appeler Bra Willie, son nom de plume.
Jeune poète, il ne mâchait pas ses mots à l’égard de la ségrégation, au point d’avoir à fuir son pays en 1961. C’est aux Etats-Unis qu’il s’est épanoui, devenant un spécialiste de la littérature afro-américaine, puis en côtoyant les grandes voix du jazz à New York. Il aimait les performances, déclamer ses textes. Pas étonnant qu’un de ses fils devienne rappeur quelques décennies plus tard, sous le nom de Earl Sweatshirt. David Bowie empruntera à Bra Willie le titre The Last Poets.
Membre de l’ANC, il retourne sur le continent natal en 1975 pour enseigner dans plusieurs écoles d’Afrique australe. Il reviendra au pays après vingt-neuf ans d’absence : mais durant tout ce temps, l’Afrique du Sud a bien changé, même son humour. Chargé d’honneurs, Kgositsile conservera toujours son sourire ironique, son sens critique et une once de nostalgie.
Affirmation
Le son de sa voix
Tisse un chant dont le sens
Dépasse les profondeurs de n’importe quel mot
Qui pourrait essayer de le nommer
Ou l’apprivoiser
Dans le son de sa voix
Je me souviens de chaque chose
Que je n’oublierai jamais
Si l’amour n’est pas tout
Ce dont une personne a besoin
Ça doit compter
Ici avec ma petite main sur
la tapisserie de la mémoire et mes reins
je me penche encore une fois sur le blues
pour trouver ma voix :
si j’ai tort de t’aimer
je ne veux pas avoir raison
(Traduction de Michèle Métail et Katia Wallisky)
« Il faisait partie de la tribu des sages, a écrit son sujet Breyten Breytenbach, des "petites gens", des shamans, des buveurs sacrés, des carotteurs, ceux qui refusent de tuer, parce que, tout simplement, ils ne le peuvent pas ».