Deux pays coupés du monde font face brutalement à la mondialisation à l’aube des années 1990. Tel est le parallèle surprenant tracé par l’écrivaine métisse Valda Jansen dans son premier roman*. Deux personnes, marginalisées par des systèmes politiques répressifs, passent à côté d’une vie bien remplie. C’est ce qu’ont souligné les jurés du prix Jan-Rabie qui ont couronné le livre pour son « exploration douloureuse et intime de la manière dont toute une vie peut se voir comme une suite d’occasions gâchées ».
La narratrice compose une tresse avec trois sortes de souvenirs : son enfance, sa formation universitaire et un amour perdu en Allemagne de l’Est.
Son père était un officier métis dans l’armée sud-africaine - eh ! oui, il y en a toujours eu. Caractère strict, il a participé à la guerre en Angola. Un jour, on lui vole une bicyclette d’enfant. Le père prend sa voiture et se gare cinq minutes devant une maison du quartier, sans rien dire. Le lendemain, la bicyclette est de retour. La mère enseignante se démène pour élever ses six enfants.
Sous l’apartheid, les métis n’avaient pas le choix : l’université du Western Cape leur était réservée. Ce qui rend l’histoire originale, c’est que la narratrice choisit d’être enseignante d’allemand.
Elle obtient un séjour d’un an à Iéna en Allemagne de l’Est en 1996. Le pays qu’elle découvre est tourneboulé par les changements. Elle se lie d’amour avec Anders, personnage calme, qui rêve de voir l’océan Atlantique. Ce dernier l’emmène même dans sa famille. La démarche est audacieuse, car son père a servi, adolescent, dans l’armée du IIIe Reich.
De retour en Afrique du Sud, la narratrice mène sa vie seule. Elle apprend le décès d’Anders par hasard et se replonge dans ses lettres. C’est un choc, mais la vie continue, engluée dans les embouteillages du Cap et l’éducation d’un petit garçon.
J’ai bien aimé sa peur de conclure son livre de souvenirs, à l’idée que le point final pourrait enterrer définitivement Anders.
Valda Jansen nous apprend à faire la paix avec notre passé, que l’on soit Allemand de l’Est ou victime de la discrimination. Le titre Il arrive avec les papillons fait allusion au nuage de papillons qui migre une fois l’an à Johannesburg. Les réminiscences sont fragiles, intermittentes.
Avec sa plume fine, l’auteure née en 1985, nous raconte une partie de sa vie. Elle a enseigné, a passé deux mois en Bavière, plus tard un an en Thuringe. Aujourd’hui, elle est journaliste indépendante.
Un de ses poèmes figure dans l’anthologie de la poésie afrikaans du Néerlandais Gerrit Komrij.
Chaussures fermées
je ne me promène plus pieds nus
comme jadis.
Je ne porte plus de sandales
mes chaussures doivent être fermées.
mes chaussures fermées protègent
mon talon d’Achille.
mais désormais
plus personne ne vient
chatouiller mes pieds.
Son roman est sous-titré « Elégie pour un amour perdu ». On peut y lire en filigrane « Elégie pour deux vies gâchées ».
Valda Jansen, Hy kom met die skoenlappers, Human & Rousseau, 2016.