En désignant Kazuo Ishiguro lauréat 2017, les jurés Nobel ont voulu faire passer plusieurs messages.
En premier lieu, ils ont choisi de distinguer un auteur au style précis, capable de susciter des émotions fortes : un mélange de Jane Austen et de Kafka, selon le communiqué.
Ensuite, ils ont honoré un écrivain natif de Nagasaki (1954), la ville la plus ouverte du Japon, qui est arrivé très jeune en Grande-Bretagne avant d’en devenir citoyen. A l’heure du Brexit et du rejet des migrants, le signal est clair : l’Europe doit continuer à accueillir les étrangers, certains hébergeront des anges.
On peut y lire aussi, en filigrane, une critique du Japon contemporain, pays où les gaijins, les étrangers, restent marginaux, confinés à leurs activités économiques. Imagine-t-on un prix Nobel de littérature nippon se nommant Johnson ? Placé en seconde position par les bookmakers, Haruki Murakami échoue une fois de fois de plus à décrocher les lauriers. Un auteur japonais amateur de whisky, de jazz et de marathon, qui verse trop souvent dans l’onirisme, ne cadre visiblement pas avec le testament idéaliste d’Alfred Nobel.
Message supplémentaire : pas plus que la musique avec Bob Dylan en 2016, l’écriture cinématographique n’est un frein à la consécration. Ishiguro a participé au scénario de plusieurs films tirés de ses romans. Le plus connu, Vestiges du jour, lui a d’abord valu le Booker Prize en 1989, suivi d’une consécration à Hollywood, avec une brassée de nominations aux Oscars. Citons aussi La comtesse blanche, The Saddest Music in the World Never, Let me go.
Constatons que le prix Nobel 2017 honore une fois de plus un auteur de langue anglaise. La langue de l’empire n’a pas besoin d’une Organisation de l’anglophonie pour se répandre dans le monde. Le jury Nobel a bien pris soin de varier l’origine des lauréats anglophones : Nigeria (Soyinka), Sainte-Lucie (Walcott), Afrique du Sud (Gordimer et Coetzee), Trinité-et-Tobago (Naipaul), Irlande (Heaney) avec quelques Britanniques au profil savamment mixte (Pinter, Lessing, Ishiguro), sans oublier Dylan l’Américain.
L’échec du Kényan Ngugi wa Thiong’o qui, du fond de sa prison, était revenu au kikuyu de son enfance, traduit le dernier message du jury : mesdames et messieurs les écrivains d’Afrique et d’Asie, vous qui hésitez à écrire dans votre langue maternelle, ne tournez plus votre plume dans votre encrier paroissial. Ravalez toute fierté linguistique, toute considération néo-coloniale, choisissez hardiment une langue mondiale si vous voulez toucher un auditoire international.