Avec l’arrivée de Netflix dans la compétition du Festival de Cannes, est-ce un monde qui disparait ? Le thème de la disparition est curieusement bien présent dans les premiers films projetés sur le très grand écran du Grand Théâtre Lumière au Palais des Festivals.
Et la version originale du film projeté à Cannes sera-t-elle sur Netflix ?
A première vue, le film d’Arnaud Desplechin n’a rien à voir avec le débat sur Netflix. Et pourtant, ils alimentent tous les deux la même interrogation : comment présenter son film au public ? La projection de Fantômes d’Ismaël n’impose pas le choix radical entre un visionnage en salle ou en ligne, mais quand même : c’est embêtant de sortir d’un film sachant qu’une deuxième version plus longue et peut-être plus aboutie existe qui sera réservée pour quelques salles arts et essais en France ou des salles à l’étranger. On aurait presque envie de suggérer une diffusion de la version longue sur Netflix… D’autant plus, parce que le réalisateur français a pratiquement confirmé lors de la conférence de presse qu’il s’agit plutôt de deux films différents basés sur la même histoire :
« Effectivement, ils existent deux versions du film. Il y en a une que j’appelle "version originale" pour ceux qui parlent déjà le "Desplechin". Pour ceux qui ne parlent pas encore le Desplechin, et ils ont nombreux, il y a une autre version que j’appelais version "française". Cette version, je l’ai resserrée sur le triangle amoureux entre Mathieu et les deux filles, alors j’espère que cette version a comme vertu d’enflammer les sentiments. La version "originale" est une version monde que vous pouvez voir ailleurs, c’est une version plus "mentale". L’autre version est une version plus "sentimentale". »
Les Fantômes d’Ismaël, comment faire le deuil d’un deuil avorté ?
En tous cas, les premiers films du Festival de Cannes questionnent le traumatisme provoqué par une disparition. Avec Les Fantômes d’Ismaël, Arnaud Desplechin, le plus complexe et proustien des réalisateurs français, nous raconte une histoire à fragmentation. Un récit aussi compressé et difficile à déchiffrer qu’une peinture abstraite du peintre Jackson Pollock, largement évoqué dans le film.
Ismaël, un cinéaste en perdition, tombe amoureux d’une astrophysicienne pour refaire sa vie. Mathieu Amalric interprète avec volupté cet homme désespérément à la recherche de sa vie, le verre de whiskey, le script du prochain scénario et les cigarettes toujours à portée de main. Et puis réapparait sa femme qu’il croyait morte, car disparue il y a vingt ans. Evidemment, les cauchemars nocturnes ne s’estompent pas. Bien au contraire, toute sa vie se transforme en cauchemar. Mais comment faire le deuil d’un deuil avorté ?
Surtout, quand sa femme disparue, incarnée avec une précision fantomatique impressionnante par Marion Cotillard, est bien décidée de reprendre son mari, de transformer son absence dans le passé en une présence irréfutable : « La vie m’est arrivée. » Sylvie (Charlotte Gainsbourg), la nouvelle femme qui ressemble fortement à l’ancienne, se retrouve alors dans une position délicate voire aussi éloignée que les constellations d’étoiles qu’elle étudie.
Loveless, la disparition de l’amour
Dans l’histoire percutante d’Andrey Zvyagintsev, les forces mystérieuses provoquées par une disparition changent également la vie des protagonistes. Très bien servi par la tension incroyable assurée par les acteurs Maryana Sivak et Alexey Rozin, le réalisateur russe dresse le portrait de Boris et Genia, un couple complètement déchiré et en train de divorcer. Une dynamique infernale est enclenchée. Tous les deux considèrent leur fils de 12 ans comme un obstacle pour commencer une nouvelle vie. Jusqu’au jour, où celui disparaisse…
Faute d’amour des parents, c’est par la disparition librement choisie qui donne au fils Alyosha enfin une raison d’être et un moyen d’exister dans une société rongée par l’individualisme forcené. Accusé d’avoir fait avec Leviathan, présenté en 2015 à Cannes, un film anti-russe, le cinéaste récidive avec un portrait grandiose, mais peu flatteur d’une société marquée par l’hypocrisie et le cynisme.
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