«Picasso Primitif», une exposition «magique»

La 100e exposition du musée du Quai Branly-Jacques Chirac dévoile l’une des multiples facettes du monstre de la peinture du 20e siècle. « Picasso Primitif » explore la rencontre, le rapport et les résonances du génie espagnol avec les arts premiers. Une découverte fascinante du primitivisme de Pablo Picasso mis en miroir avec les œuvres des arts premiers.

« L’art nègre ? Connais pas », disait Picasso (1881-1973). Pourtant, l’artiste a entretenu un lien particulier avec les arts primitifs dès le début du XXe siècle. La première exposition qu’il découvre à Paris n’est autre que celle du musée du Trocadéro, futur musée de l’Homme, en 1907. Là-bas, il y aurait compris « le sens même de la peinture, comme une forme de magie qui s’interpose entre l’univers hostile et nous, une façon de saisir le pouvoir, en imposant une forme à nos terreurs comme à nos désirs* ». Jusqu’à sa mort, il ne cessera de s’intéresser à ces arts primitifs d’Afrique, d’Océanie, d’Asie et des Amériques.

Les Demoiselles d’Avignon, « ma première toile d’exorcisme »

La première partie de « Picasso Primitif » est réalisée telle une enquête. Elle retrace, sur des murs immaculés, cet attachement du peintre aux arts premiers, sur une période allant de 1900 à 1974 (soit un an après sa mort). Mélangeant photos de l’artiste où les statuettes et autres masques se côtoient dans ses différentes maisons et ateliers, correspondance épistolaire au sujet de l’art avec ses contemporains (Derain, Apollinaire, Matisse, collectionneurs et marchands d’art), témoignages, tableaux, objets ayant appartenus au peintre, la vie de Picasso en lien avec les arts primitifs est minutieusement détaillée, chronologiquement et historiquement.

Pablo Picasso découvre l’art primitif en 1906. Chez son ami Derain est exposé un masque des Fangs du Gabon, acheté à Vlaminck pour 50 francs. C’est à la même période (1906-1907) que Picasso peint Les Demoiselles d’Avignon, une toile dans laquelle l’art africain transpire de deux visages de femmes. « Quand je suis allé au Trocadéro, c’était dégoûtant. Le marché aux Puces. L’odeur. J’étais tout seul. Je ne partais pas. Je restais. Je restais. J’ai compris que c’était très important : il m’arrivait quelque chose, non ? (…) J’ai compris pourquoi j’étais peintre. Tout seul dans ce musée affreux, avec des masques, des poupées Peaux-Rouges, des mannequins poussiéreux. Les Demoiselles d’Avignon ont dû arriver ce jour-là, mais pas du tout à cause des formes : parce que c’était ma première toile d’exorcisme, oui ! »**

Corps à corps

La seconde partie de l’exposition - divisée en trois thématiques - laisse place à l’imagination. Peu de textes, peu de lumières, murs noirs. « Corps à corps » est un face-à-face entre Picasso et les artistes non-Occidentaux. Là, nul besoin de moult explications pour faire un parallèle entre les œuvres du peintre et les leurs. Les formes parlent d’elles-mêmes. Ici, explique le parcours de l’exposition, « "primitif" est donc entendu au sens de primordial, au-delà des conventions, et susceptible d’être compris de tous, même si les créations de part et d’autre sont savantes ».

L’exemple le plus parlant étant le visage où, chez Picasso comme chez les artistes

non-Occidentaux, il n’a qu’une face ou n’est représenté que par deux trous. « Deux trous, écrit Brassaï, c’est le signe du visage, suffisant pour l’évoquer sans le représenter… Mais n’est-il pas étrange qu’on puisse le faire par des moyens aussi simples ? Deux trous, c’est bien abstrait si l’on songe à la complexité de l’homme… Ce qui est le plus abstrait est peut-être le comble de la réalité. »***

Picasso y exprime la liberté, loin des conventions de peinture ou de sculpture de l’époque. Le corps, où le sexe possède une réelle importance, est au centre des œuvres, le corps métamorphosé, défiguré, le corps qui épouvante mais aussi le corps qui attire, de quelque manière que ce soit.

Picasso le disait, encore une fois à propos de sa visite au musée du Trocadéro : « (…) Je me suis forcé à rester, à examiner ces masques, tous ces objets que des hommes avaient exécutés dans un dessein sacré, magique, pour qu’ils servent d’intermédiaires entre eux et les forces inconnues hostiles qui les entouraient, tâchant ainsi de surmonter leur frayeur en leur donnant couleur et forme. Et alors j’ai compris que c’était le sens même de la peinture. Ce n’est pas un processus esthétique ; c’est une forme de magie qui s’interpose entre l’univers hostile et nous, une façon de saisir le pouvoir, en imposant une forme à nos terreurs comme à nos désirs. Le jour où j’ai compris cela, je sus que j’avais trouvé mon chemin. »*

Certaines sculptures exposées au Quai Branly pourraient être réalisées tout autant par Picasso que par un non-Occidental. D’où la magie du spectacle, qui réunit près de 300 œuvres dont 107 de l’artiste espagnol, une magie au propre comme au figuré.

► « Picasso Primitif », musée du Quai Branly-Jacques Chirac (réalisée en collaboration avec le musée national Picasso de Paris), Paris 7e. Du 28 mars au 19 juillet 2017.

*Picasso, cité par Françoise Gilot, Vivre avec Picasso, Calmann-Levy, 1964.

**Picasso, cité par André Malraux, La tête d’obsidienne, Gallimard, 1974.

***Brassaï, Conversations avec Picasso, Parosis, Gallimard, 1964.

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