RFI : Dans Le Cargo vous revenez au village de votre enfance, Obilo, au Congo, que vous avez quitté à l’âge de 8 ans. Qu’est-ce qui vous a donné envie de ce retour ?
Faustin Linyekula : Je pense qu’à un moment dans nos parcours à nous tous, il arrive toujours qu’on sente la nécessité de se poser et de réfléchir avant d’aller plus loin. Le Cargo est la première pièce où je suis tout seul sur scène. Avant j’avais fait que des pièces de groupe, parce que je me disais que l’intérêt de créer est justement de partager un espace avec d’autres.
Faut-il être un danseur aguerri pour se permettre un solo ?
Je pense que oui. L’exercice du solo est un exercice qui concentre une somme d’expérience et quand on est trop jeune, c’est compliqué. Moi, c’est au bout de dix ans de travail de compagnie que je me suis arrêté de faire ce solo.
Qu’est-ce que vous cherchiez à Obilo et l’avez-vous retrouvé ?
Eh bien, non. Déjà, il faut dire : quand on revient 29 ans plus tard, on n’est plus le même et le village n’est plus le même.
Obilo a connu la guerre du Congo - vous en parlez dans votre spectacle. Et ce village a aussi perdu la danse de votre enfance. Elle n’existe plus.
Et cela depuis un moment, parce que ces gens doivent faire tellement face aux questions de survie quotidienne, ils n’ont même plus le temps de s’occuper d’eux-mêmes. Prendre le temps de danser, c’est de créer un espace où l’on peut réfléchir à sa place dans le monde, mais quand on est tellement pris dans les griffes de la survie, ça devient impossible. Et cela a fait, effectivement, que toutes les danses de mon enfance ont disparu ou elles sont en train de disparaître.
Les danses que vous présentez sur scène, d’où viennent-elles ?
Chaque fois quand je vais sur scène, c’est un peu guidé par la conscience de la vie. Et ces ruines qui sont les miennes, comment construire avec cela ? Donc quand on va fouiller dans les ruines, on trouve toujours des bouts de choses. Dans mes ruines à moi, il y a des bouts, des rituels, par lesquels je suis passé enfant, il y a des bouts de danses populaires du Congo, mais il y a aussi des bouts de poèmes d’Aimé Césaire.
Vous partez aussi d’une phrase du poète libano-syrien Adonis : « Comment marcher vers moi-même, vers mon peuple, avec mon sang en feu et mon histoire en ruine ? » De quelle manière, ce poème vous a-t-il nourri ?
Ce poème, je l’ai lu, il y a plus de 20 ans. C’est l’un des vers qui m’ont accompagné tout au long de mon parcours, jusqu’ici. C’est à la fois une quête existentielle : comment vivre au Congo ? Comment négocier ce rapport à cet espace que je reconnais, mais, en même temps, je ne reconnais plus, parce qu’il y a eu toutes ces années de violences et ces décennies d’exploitation. Donc, comment vivre avec cela ? Je pourrais dire qu’il s’agit pour chaque pièce de mettre en jeu tous les moyens dont je dispose pour essayer de dire mon monde. Parfois, je dois jusqu’à courir au mot. D’autre fois encore, il s’agit juste du chant ou de la danse, mais quoi il en soit, il y a un point qui relie tout cela : il s’agit de mis en jeu du corps.
► Ecouter l’interview. Faustin Linyekula est notre Invité Culture, le vendredi 13 janvier.
►Le Cargo, chorégraphie de Faustin Linyekula, jusqu’au 14 janvier au Théâtre du Tarmac, Paris.