Une pensée pour le brillant Sello Duiker, disparu voici douze ans exactement, le 19 janvier 2005.
Pourquoi un jeune Noir de Soweto portait-il un patronyme afrikaner ? A l’instar des aïeux d’Hector Pieterson, la première victime de la révolte de 1976, qui s’appelaient Pitso, les grands-parents de l’écrivain ont probablement changé de nom en arrivant à Johannesburg.
Duiker, c’est le nom de la plus petite des antilopes, le céphalophe, qui doit sa survie à sa façon de plonger sous les branches les plus basses. Des parents attentifs, diplômés de l’enseignement supérieur, de bonnes études prolongées par deux années en Angleterre, Kabelo « Sello » Duiker avait de bons atouts en main. C’était compter sans la drogue et la schizophrénie.
Annari Van der Merwe, à l’époque directrice les éditions Kwela, se souvient du jeune homme nerveux qui a déboulé un matin dans son bureau, un manuscrit à la main. Elle lui a suggéré quelques retouches, d’étoffer les personnages. Sello Duiker, vexé, s’est enfermé et a ramené un autre texte, un roman-fleuve, La sourde violence des rêves*. Son premier roman est finalement paru sous le titre 13 cents. L’un et l’autre lui valurent un prix littéraire majeur.
Le héros de 13 cents est Azure, un enfant des rues, métis aux yeux bleus. Il survit par la prostitution. Plutôt que d’entrer en guerre avec un caïd, il accepte de travailler pour lui, avec ce que cela comporte de violence, d’isolement et d’humiliation. Son seul ami quitte le Cap pour tenter sa chance dans le nord. « Mon père est mort, ma mère est morte », conclut le garçon.
Le même sentiment d’urgence prévaut dans La sourde violence des rêves. Nous suivons les errances de Tshepo, adulte fragile. Il quitte une clinique du Cap pour travailler dans un salon de massage pour hommes. Il croise d’autres personnages abîmés par la vie. Il évoque les anges : « Ils me suivent partout. En train, en taxi, dans les rues. Partout. Je crois qu’ils essaient de me dire quelque chose, mais je n’entends pas. »
- K. Sello Duiker, La sourde violence des rêves, Vents d’ailleurs, Editions d’en bas, 2014. Traduit de l’anglais par Jean-Yves Kruger-Katelan
- K. Sello Duiker, 13 cents, Yago, 2010. Traduit de l’anglais par Laura Derajinski.
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