Poussez la porte du Grand Palais et vous allez vous retrouvez tête à tête avec un grand bonhomme féérique, une sculpture dotée de tiges de bambou et de papier de riz. Un être illuminé, plein d’esprit et suspendu dans l’air, présenté par Tim Neuger sur le stand de la galerie berlinoise Neugerriemschneider : « C’est une sculpture merveilleusement poétique créée par l’artiste chinois Ai Weiwei. Il s’agit du dieu du Bonheur, issu d’un conte très ancien, et nous, nous ne pouvons pas être plus heureux que nous sommes ici à la Fiac, au Grand Palais » [rires].
Une zone piétonne, tout un art
Et pourtant, le marché de l’art contemporain s’est beaucoup rétréci. Les acheteurs se font plus rares. À la Fiac, les galeristes hésitent à communiquer les prix. Entre juillet 2015 et juin 2016, le chiffre d’affaires mondial du secteur de l’art contemporain s’est fortement dégradé : de 2 à 1,5 milliard de dollars (1,36 milliard d’euros), et les ventes aux enchères chez Christie’s et Sotheby’s ont également subi une baisse sensible.
La Fiac aussi a renoncé à ouvrir une filiale à Los Angeles, mais, malgré cette tendance du marché - encore amplifiée par le recul de touristes étrangères suite aux attentats de Paris - la foire parisienne a décidé de voir plus grand encore autour du Grand Palais et d’élargir son offre en intégrant pour la première fois le Petit Palais et l’avenue Winston Churchill, transformée en artère artistique piétonnière sans susciter les protestations habituelles des automobilistes. Tout un art.
Andres Serrano, entre sœurs catholiques et Ku Klux Klan
Au stand de la collection Yvon Lambert à Avignon, on aperçoit trois photographies colorées montrant trois personnages avec un voile ou une cagoule sur la tête. Non, ce n’est pas une contribution au débat sur la laïcité, mais des œuvres d’Andres Serrano, l’artiste américain dont un tableau nommé Piss Christ a été détruit en 2011 par des intégristes religieux.
À la Fiac, il montre des photographies éditées à 50 exemplaires à 2000 euros, issues de deux séries réalisées dans les années 1990 sur l’église et le Ku Klux Klan. « Vous voyez deux jeunes sœurs, sœur Constance et sœur Yvette, prises en photo d’une manière extrêmement classique, comme sur un portrait du XVIIIe siècle, explique Stéphane Ibars de la collection Yvon Lambert. Ensuite, sur la troisième photo, on voit un de ces personnages extrêmement dangereux du Ku Klux Klan. En plus, Andres Serrano est noir, mais dans cette série, il les portraiture de la plus belle manière possible pour montrer la froideur de ces personnages. »
Les Américains adorent venir à la Fiac
Mira Dimitrova, directrice de la galerie londonienne Mazzoleni, présente une œuvre de Fausto Melotti (1901-1986), l’un des grands représentants du mouvement abstrait milanais. Tre Tempi (Trois Mouvements), de 1971, est une sculpture en laiton à la fois géométrique, abstraite et influencée par la musique, une tentative de rythmer l’espace et exprimer la poésie des matériaux. « C’est la première fois qu’on est à la Fiac. Nous espérons de rencontrer des collectionneurs internationaux, il y a beaucoup d’Américains qui adorent venir à Paris. C’est une foire qui ne se limite pas à un marché français ou européen, c’est ça qui est intéressant pour nous. »
Gavin Brown’s Enterprise est une des 34 galeries américaines présentes à la Fiac. Une armoire bleue renversée, enveloppée dans une plaque de fer et accrochée au mur comme un tableau, est une des cinq pièces de 200 kilos de l’artiste grec Jannis Kounellis, le maître de l’arte povera : Untitled fait partie d’une nouvelle série qu’il a réalisée cette année. « On y voit quelques éléments typiques pour ses œuvres, explique Marta Fontolan, directrice à la galerie new-yorkaise : des plaques de fer, toujours à la même taille, décidée à la fin des années 1960, sur la base de son lit. Et puis il y intègre des objets quotidiens comme des armoires ou des rangements. Le tout a l’air d’une pièce très brute et puissante, mais il y a aussi un jeu entre le vide et la pesanteur. » Vous êtes séduit ? Trop tard, la pièce a déjà trouvé preneur à la Fiac, pour 200 000 euros.
Les poissons de Mark Dion et la banlieue de Kader Attia
Avec 30 000 euros beaucoup moins cher, la galerie Nicolai Wallner propose Lamppost III, un réverbère fraichement arraché d’un sol bétonné, une pièce unique de trois mètres de long avec laquelle le collectif artistique danois A Kassen tourne en dérision notre époque tellement « éclairée ».
Denise Moser, directrice de la galerie allemande Nagel-Draxler est allée à la pêche dans les eaux de l’artiste américain Mark Dion. Fisheries (2016) coûte 70 000 euros et brandit la crise de la surpêche avec dix poissons plus vrais que nature, suspendus sur un fil avec leurs yeux de verre et leurs corps de résine artificielle. Derrière le bureau de la galeriste trône Modern Architecture Genealogy (2016) de l’artiste Kader Attia, couronné mardi dernier au Centre Pompidou avec le prix Marcel Duchamp 2016. Denise Moser jure de ne pas avoir augmenté le prix du collage, déjà conséquent avec 14 000 euros pour cet artiste qu’elle suit depuis dix ans. « Kader Attia est né dans la banlieue parisienne et sur le collage on voit l’architecture typique des banlieues et le désespoir et le manque de perspectives qui y règnent. »
Dario Villalba, la découverte d’un artiste célèbre
La galeriste Olga Adelantado, venue de Valencia, présente un solo show de Dario Villalba, un artiste espagnol né en 1939, dont des œuvres se trouvent dans les plus prestigieux musées du monde comme le Guggenheim ou le Moma à New York, mais qui reste pratiquement inconnu en France. À la Fiac, les prix de ses œuvres oscillent entre 8 000 euros et 185 000 euros : « Après avoir cassé tous les codes de la figuration dans les années 1950, il a décidé de reprendre le figuratif et de rester en même temps contemporain. Alors il a commencé à travailler sur des gens en marge de la société. Il a donné une âme, une présence, une visibilité à ces gens dépourvus d’une reconnaissance. Là, par exemple, on voit Sitting Gioconda White I (1993/2016), une vieille femme, une clocharde, qui a vécu dans un parc à Londres, dans les années 1970. Il travaille avec une espèce de tissu cassé, une référence au peintre italien Lucio Fontana. Et cette femme ne regarde pas seulement l’infini, mais elle n’arrête pas à nous regarder. »
Avec These eggs have been kept warm by my iPhone for the little chicks to grow inside, des œufs de poulet couvés par un iPhone, l’œuvre de Laure Prouvost, lauréate du préstigieux Turner Prize en 2013, a fait même sourire Madame la ministre de la Culture, Audrey Azouley, en visite à la galerie Nathalie Obadia. Bref, Ai Weiwei avait vu juste, à la Fiac, cette année, l’art semble bien être au service du dieu du Bonheur.