Ixcanul: au pied du volcan, la tragédie des Indiens mayas du Guatemala

Ce mercredi sort sur les écrans français le film du jeune réalisateur guatémaltèque Jayro Bustamante, « Ixcanul », récompensé dans plusieurs festivals dont celui de Berlin par un Ours d'argent. Au-delà de l'histoire de la jeune Maria, mariée contre son gré, le réalisateur met en scène, entre naturalisme et réalisme magique, l'exploitation séculaire des Indiens mayas du Guatemala. Une fresque au centre de laquelle les femmes, Maria et sa mère, apparaissent, comme le volcan, viscéralement forces de vie.

Sur les flancs d'un noir volcan vivait, au Guatemala, une famille de paysans dont la fille, belle comme une princesse maya, était bonne à marier. Voilà comment commence Ixcanul, ce premier film du jeune réalisateur Jayro Bustamante : comme une jolie fresque naturaliste. Les images sont belles, les contrastes des couleurs, vert amande de la végétation, rouge et rose des vêtements traditionnels des femmes, rubis des grains de caféier, noir des scories volcaniques... chatoyants. La jeune paysanne indienne, Maria, doit épouser Ignacio, le contremaître d'un domaine dont ses parents sont les métayers. Mais Maria en aime un autre et rêve d'échapper à son destin et partir de l'autre côté du volcan.

Qu'y-a-t-il de l'autre côté ? Le froid, répond sa mère. Les Etats-Unis où les fruits sont tout épluchés dans les magasins et où l'électricité fonctionne tout le temps, répond Pepe, l'amoureux de Maria. Les Etats-Unis où partent les jeunes hommes qui veulent échapper au quasi-servage des plantations de café. Et puis j'y apprendrai l'anglais, assure Pepe. Apprendre l'anglais, toi qui ne parles même pas l'espagnol ? se moque Maria.

Par touches progressives, le cadre s'élargit et le scénario prend des tours inattendus, comme les chemins empruntés par les Indiens sur les flancs du volcan. Les rapports de domination entre les petits paysans indiens et le contremaître, qui parle lui l'espagnol et manipule les fils du drame familial, éclatent ; la fracture sociale et culturelle de ce pays, le Guatemala majoritairement peuplé d'Indiens mais dont la culture et les langues – plus de 20 branches différentes de la langue maya dont le cakchiquel parlé par cette communauté du volcan – sont niées, explose. Violence aussi du contraste entre la communauté paysanne et la grande ville, deux univers qui ne parlent pas la même langue.

Inspiré d'une histoire vraie, le film, tourné avec des acteurs non professionnels pour la plupart et dans des conditions matérielles très précaires, a une portée politique puisqu'il raconte l'exploitation, au plus profond de leur chair, des Indiens encore aujourd'hui. Mais le propos est adouci par le réalisme magique dans lequel baigne le film : la tendresse des relations entre les deux femmes, la mère et la fille Maria ; la sensualité des scènes de bain dans le four en terre ; leur appétit de vie ; la magie des prières et offrandes au volcan ; les croyances de bonnes femmes censées protéger des morsures de serpent ; la force de la jeune vie qui résiste aux potions amères, aux pierres magiques et à l'appât du gain ; l'humour aussi, quand il faut aider les porcs à procréer en les dopant d'une large rasade de rhum.

Ixcanul, le « volcan » en langue maya, signifie aussi bouillonnement, comme celui de la lave en fusion, de la révolte des femmes auxquelles on a volé la vie qu'elles portaient.

► Jayro Bustamente est l'invité de la rédaction Culture de RFI ce mercredi.

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