Corée: le maire de Jeonju veut faire de sa ville la capitale du hanji

Le hanji fait partie intégrante de la vie des Coréens depuis leur naissance jusqu’à leur mort. Fleuron de l’artisanat du Pays du matin calme, ce papier traditionnel, d’une qualité réputée exceptionnelle, reste pourtant quasiment inconnu à l’étranger. Les autorités coréennes veulent le promouvoir sur les cinq continents, en organisant notamment un premier colloque international, qui a rassemblé plus de 300 personnes à Séoul le 19 décembre 2014. Kim Seung Su, maire de Jeonju, ne veut pas être en reste. Il prend le train en marche et ambitionne même de faire de sa ville (située à trois heures de route au sud de Séoul) la capitale du hanji et, par la même occasion, la capitale culturelle du pays. Entretien.

RFI : A 46 ans, vous êtes le plus jeune maire de Corée. Jeonju, avec ses 700 000 habitants, est la 7e ville du pays mais aussi la capitale du bibimbap (plat traditionnel réalisé avec du riz, garni de légumes, de viande et d’un jaune d’œuf ou d’un œuf sur le plat, le tout relevé de piment) et du pansori (l’opéra traditionnel coréen). Vous êtes en poste depuis trois mois, le mandat de maire ne dure que quatre ans et vous projetez déjà de faire de votre ville la capitale du hanji en dix ans.

Kim Seung Su : Jeonju est considérée comme la capitale des arts et de la tradition coréenne pour l’authenticité et l’originalité de sa cuisine, pour le pansori et le hanji, bien entendu. L’histoire du hanji date de presque plus de mille ans et a commencé avec la fondation en 918 du royaume de Goryeo, parfois orthographié « Koryo » ou « Kioreo », qui a donné « Korea » en anglais et « Corée » en français.

Pendant la période du royaume de Goryeo, tous les manuscrits étaient écrits sur du hanji. On a retrouvé des archives coréennes conservées en Chine. A l’époque, on échangeait beaucoup de manuscrits sous forme de lettres, de certificats, de documents diplomatiques. Le hanji qui servait de support à ces documents était fabriqué à Jeonju. Pourquoi ? Parce que le climat est bien adapté à la plantation du mûrier, le meilleur arbre pour fabriquer du papier, et grâce à la bonne qualité de l’eau. Pure, l’eau de Jeonju est dépourvue de fer, ce qui donne un papier parfait à tous les niveaux.

Au XVe siècle, le roi Sejong invente le hangeul, l’alphabet coréen, pour favoriser l’alphabétisation du peuple. Jeonju devient alors une ville incontournable s’agissant de l’édition. Suite à la création de cet alphabet, on a commencé à avoir des romans écrits en langue coréenne alors qu’auparavant, en dehors de la classe des nobles, le peuple avait des difficultés à lire les idéogrammes chinois en usage à l’époque. Ces romans se sont donc répandus dans toute la Corée, qui n’était pas coupée en deux comme c’est le cas aujourd’hui. Lors de cette période, la Corée comptait quatre régions importantes. Et la ville de Jeonju était capable de publier le tiers des documents pour toute la Corée.

Quelle est la place de Jeonju dans la production du hanji aujourd’hui ?

De nos jours, trois principales villes rivalisent dans la production du hanji : Jeonju, Wonju et Eurirung. Mais la qualité du hanji de Jeonju est la meilleure, car tout est fabriqué à la main ! A Jeonju, nous avons même un centre de recherche sur le hanji. Nous avons aussi établi un système pour classer la qualité des papiers issus des différents lieux de production, une sorte d’appellation contrôlée.

Jusqu’aux années 1910, la ville de Jeonju avait assuré jusqu’à 40% de la production de hanji à l’échelle nationale. Et mon souhait, en tant que maire, est de faire de Jeonju la capitale du hanji et, par la même occasion, la capitale culturelle de la Corée.

Les deux autres villes concurrentes fabriquent-elles le hanji de façon industrielle uniquement ou manuellement aussi ?

A Wonju et Eurirung, il y a aussi des endroits où l’on fabrique le hanji à la main comme à Jeonju. Le hanji représente l’esprit et l’identité coréenne. Il représente notre culture. Mais on ne veut pas que cette culture reste au musée. Il faut par conséquent promouvoir la qualité du hanji en fabriquant avec ce papier des objets utiles dans notre vie quotidienne. Des objets d’art et des papiers peints, par exemple. Autre usage « insolite » en Corée : quand une personne meurt, on l’habille de vêtements spécifiques. Aujourd’hui, la tendance est d’habiller les défunts avec des vêtements fabriqués avec du hanji.

Le hanji est aussi utilisé dans la peinture, la photographie, la mode : écharpes, chaussettes, sous-vêtements, etc. Ceci pour ne pas limiter son usage à des fonctions classiques comme la calligraphie ou la peinture. Si l’on devait parler d’industrialisation du hanji, cette industrialisation doit passer par ces créations.

Le hanji a connu un déclin, en particulier avec l’avènement du numérique. Cette industrialisation, que vous évoquez, serait donc propice à une renaissance du hanji ?

De nos jours, on a tendance à établir les documents administratifs sous forme de PDF, à rédiger et à envoyer les lettres par courrier électronique. On peut par conséquent parler de déclin pour le hanji mais aussi pour le papier en général. L’industrialisation permettra, en effet, de relancer le hanji, en le remettant au goût du jour.

Le marché mondial du papier traditionnel est dominé par les Japonais et les Chinois. Comment la Corée du Sud compte-t-elle les concurrencer ?

Mon ambition est que Jeonju redevienne la capitale des arts et de la tradition coréenne. Cet objectif peut être atteint grâce au hanji, qui reste un symbole fort de notre culture. En exportant du hanji et des objets fabriqués avec ou à partir du hanji de Jeonju, on exporte aussi la culture coréenne.

Le Japon et la Chine continuent d’exporter des objets fabriqués avec leur papier traditionnel. Mais ce sont des objets totalement modernisés, contrairement à notre papier, qui s’inscrit dans la tradition coréenne.

Au niveau qualité, qu’est-ce qui différencie le hanji du papier traditionnel japonais (le kozo) et chinois (le wenzhou) ?

Les papiers japonais et coréen sont d’un niveau égal en général. Le papier chinois, lui, est réputé être de moindre qualité, voire de basse qualité. En Chine, la fabrication du papier traditionnel est industrielle, c’est pourquoi son prix n’est pas élevé. Il coûte 10 fois moins cher que le hanji.

La qualité du mûrier à papier, de l’eau et le climat adéquat contribuent à la qualité du hanji. Et comme le hanji ne contient pas de composant très salé, il peut rester intact jusqu’à mille ans.

Ce qui fait la spécificité du hanji, c’est donc sa résistance. Une résistance qui s’explique aussi par sa méthode de fabrication. Une méthode qui permet aux fibres du mûrier de s’entrecroiser. Conséquence : le hanji se déchire difficilement, à la différence des papiers traditionnels japonais et chinois où les fibres sont unidirectionnelles. Plus fragiles, ils se morcellent sans difficulté, dans la direction vers laquelle les fibres sont orientées.

Pour promouvoir le hanji de notre ville et aussi les objets fabriqués avec ce papier, je veux créer un label spécifique que l’on pourrait éventuellement appeler « Hanji de Jeonju ». Je désire aussi promouvoir le hanji comme un papier utile à la décoration. A cette fin, j’ai fait décorer plusieurs endroits à l’étranger. Par exemple, à New York, les murs de l’appartement du secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-moon, sont recouverts de hanji. Même au Laos, la résidence de l’ambassadeur de Corée est décorée avec du hanji. J’espère qu’à travers toutes ces démarches, le hanji sera connu dans le monde.

POUR ALLER PLUS LOIN :

- La fabuleuse histoire du hanji, le papier traditionnel coréen
- «Les Coréens ont raison de montrer la qualité de leur papier»
- «La qualité du hanji a été reconnue comme la meilleure au monde»
- Fondation coréenne pour l’artisanat et le design (Korea Craft & Desigh Foundation, KCDF)

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