Deon Meyer : « Ecrire une histoire que le lecteur aimera lire »

Deon Meyer est un écrivain d'Afrique du Sud que la France a découvert il y a quelques années avec un roman intitulé Jusqu'au dernier. Depuis cet auteur afrikaner construit une œuvre importante à la fois placée sous le signe du roman noir, du suspens et qui rend compte d'une réalité sociale par le prisme de la fiction criminelle. Son nouveau roman A La Trace est une vaste fresque de 700 pages. L’écrivain met en scène trois personnages qui ne se connaissent pas, qui évoluent dans des milieux très différents mais dont les destins finiront par se croiser sur fond de trafic d'armes, de manipulations politiques et faits divers.

 

RFI : Vous êtes d'une certaine façon l'initiateur du polar en Afrique du Sud car avant la fin de l'Apartheid en 1991, ce genre n'existait pas.

Deon Meyer : Oui c’est vrai. La première raison pour cela est qu’il est impossible d’écrire des romans noirs dans une société oppressive, parce que la police, la figure de la justice du bien, du bon… ne peut pas représenter un gouvernement oppressif. Moi, j’avais envie d’écrire des polars, mais je ne me sentais pas à l’aise avec cette idée. Deuxièmement, si vous écriviez quand même ce type de roman qui critiquait l’Etat, il était censuré. Le gouvernement de l’Apartheid censurait tellement de livres, de magazines et de journaux, que ça n’avait aucun intérêt de les publier, car ils auraient été immédiatement mis au ban.

RFI : Vous vouliez être auteur de polar, avant même de devenir journaliste. Pourquoi ?

D.M. : Je pense que j’étais fortement influencé par ce que je lisais, jeune. Quand j’avais 13 ou 14 ans, j’ai découvert le polar la première fois, et j’ai vraiment adoré ça. Au début, je n’avais pas l’impression que j’allais écrire un roman noir. C’est juste arrivé comme ça, avec les histoires que je voulais raconter. Ce n’était pas mon intention de faire du roman noir. J’ai écrit un livre et quand il a été publié, les critiques ont dit : Tiens ! Il y a un auteur sud-africain qui écrit des romans criminels. C’est comme ça que c’est arrivé.

RFI : Est-ce que vous pensez que l’Afrique du Sud a des caractéristiques propres au roman noir ?

D.M. : Je ne crois pas que notre pays ait plus d’atouts qu’un autre pays. Je pense que ce qui fait la particularité intéressante de cette littérature en Afrique du Sud, c’est qu’elle a pour cadre une société qui est en train de changer énormément. Notre police, par exemple, pendant l’Apartheid, était composée à 90 % de blancs. La police a dû s’ouvrir à toutes les communautés sud-africaines. Le changement est toujours traumatisant, particulièrement toutes les transformations par lesquelles nous avons dû passer. Donc la nouvelle police que nous avons aujourd’hui est très différente de celle que nous avons eue, et elle continue d’évoluer tous les ans. Pour moi, cela est très intéressant, car en tant qu’auteur, ça me permet de m’inspirer un grand nombre de conflits qui sans doute n’existent pas en Suède ou en Allemagne.

RFI : Votre nouveau roman est comme un grand tableau ou un puzzle, avec plusieurs parties, plusieurs personnages, et ce, écrit dans plusieurs styles différents. Est-ce que c’était une façon de rendre compte de la diversité et de la complexité d’Afrique du Sud ?

D.M. : Je fais toujours très attention à d’abord écrire une histoire que le lecteur aimera lire. Mais si vous avez un autre projet, celui de tenir des propos plus analytiques, on perd le lecteur. Mon but est davantage de casser la structure narrative du roman policier. Mais il se trouve aussi que je parle de personnages sud-africains dans un contexte d’aujourd’hui, et qu’ils vivent dans un pays que je connais et que j’aime. Donc, il est possible qu’ils fassent part de leurs idées sur le pays, mais c’est leur perspective. Le problème vient quand l’auteur donne son point de vue. Du coup, tous ses livres se ressemblent. Je trouve beaucoup plus enrichissant de regarder mon pays à travers la diversité de ses habitants, les Afrikaners, les Africains de couleur, les Zoulous, etc.

RFI : Pensez-vous que ceux qui vous lisent dans le monde entier, s’ils viennent en Afrique du Sud, reconnaîtraient le pays qu’ils ont découvert à travers vos livres ?

D.M. : Je l’espère, dans une certaine limite. Mais d’un autre côté, le polar n’est qu’une toute petite fenêtre sur une société beaucoup plus large. L’Afrique du Sud est un monde si divers, note pays est si grand ! Il y a tellement d’aspects différents ! La littérature criminelle ne peut montrer qu’une petite partie, la plus sombre. Donc, peut-être reconnaîtraient-ils le pays, mais surtout ils découvriraient beaucoup plus.

 

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A La Trace, de Deon Meyer, traduit de l'afrikaans par Marin Dorst. Editions du seuil.

 

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