Le football comme affirmation culturelle en Afrique du Sud

L’Afrique a découvert le foot à l’époque coloniale par le biais d’Anglais, Français, Hollandais investis d’une mission civilisatrice : le football a longtemps été une culture colonisatrice par le biais du jeu. Pendant la Coupe du monde en Afrique du Sud se joue aussi la culture foot sud-africaine. Là, le football est une affaire sérieuse qui concerne les écrivains, les cinéastes, les danseurs ou les musiciens. Entretien avec Claude Boli, responsable du département scientifique et du département collection du Musée national du sport et commissaire de l’exposition Les footballeurs africains sont là !

 RFI : En Afrique du Sud, le football fait-il partie de la culture ?

Claude Boli : Le football occupe une place centrale dans l’espace culturel sud-africain. Les Britanniques, qui étaient les inventeurs du football, ont exporté cette pratique culturelle anglaise. Le football en Afrique du Sud est arrivé au début du XXe siècle. Les premiers clubs africains ont été en Afrique du Sud – d’abord dans l’espace britannique, ils sont ensuite arrivés dans l’espace francophone. Il y a une longue histoire entre le football et l’Afrique du Sud.

RFI : Le football en Afrique du Sud, au début, c’était un sport d’immigrés ou un sport de colons, de missionnaires ?
 
C.B. : Si on prend l’histoire de l’arrivée du football en Afrique en général, on peut dire que le football était un sport de migrants, de migration. On parle souvent du ballon migrateur. Mais ce n’est pas pour cela qu’on pourrait parler d’un sport d’immigrés dans le cas d’Afrique du Sud.

RFI : Est-ce qu’il y a une spécificité sud-africaine dans la culture football par rapport aux autres pays africains ?

C.B. : Il n’y a aucune spécificité, aucune singularité du football sud-africain par rapport à d’autres pays. On peut parler d’influence britannique dans l’arrivée du football en Afrique du Sud. On peut parler aussi de la précocité du football dans cette sphère britannique. On peut enfin parler du rôle du football par rapport au rugby. Le football – contrairement au rugby à quinze – est une discipline de classification sociale, une discipline de distinction sociale. Aujourd’hui, en Afrique du Sud, le football est un sport du peuple, des noirs et le rugby à quinze est majoritairement un sport d’Européens, de blancs.

RFI : Pour vous, la culture du foot sud-africain est une sorte de « filiale européenne » sur le sol africain.

C.B. : Aujourd’hui, il y a un club qui s’appelle Ajax Capetown, une sorte de succursale de la grande équipe d’Ajax Amsterdam en Afrique du Sud. Aujourd’hui, se forment des petits clubs, formés à la hollandaise, de la culture footballistique d’Ajax Amsterdam en Afrique du Sud. Il y a un lien intéressant entre ce qui se passe dans le football sud-africain et ce qui se passe en Europe ; des relations entre des grands clubs comme Ajax Amsterdam, Manchester United qui voient dans les jeunes joueurs sud-africains des futurs talents qui pourraient intégrer les grands clubs européens.
 

On trouve cette relation singulière entre la culture sud-africaine et la culture mondiale aussi dans le jazz. Je vous donne une anecdote : la tournée du grand Duke Ellington en Afrique du Sud avait permis d’ouvrir la vocation de l’un des plus grands pianistes sud-africains, Abdullah Ibrahim. Le jazz en Afrique du Sud fait partie d’une culture venue de l’extérieur qui rapproche les noirs sud-africains et les noirs africains. C’est la rencontre pour la lutte contre la ségrégation raciale, le fait d’utiliser la musique comme le sport comme un outil politique, comme un outil culturel qui permet de « tacler » la discrimination raciale.

RFI : Comment le football est-il reflété dans la culture sud-africaine ?


C.B. : Il y a des musiciens qui ont chanté le football. Il y a des artistes, des peintres, toute une culture cinématographique qui s’est inspirée de ce qui se passe au football. Il y a aussi des grandes légendes du football sud-africain. Il y a des clubs, je pense au Jomo Cosmos Football Club, basé à Johannesburg, à d’autres clubs, qui participent à leur façon à la grande culture footballistique en Afrique du Sud. Le football en Afrique du Sud occupe une place importante. C’est d’abord un jeu de la population modeste, de la population noire sud-africaine. Il y a un rapport assez fort entre la pratique elle-même et la vision, le poids historique et sociologique du football en Afrique du Sud. Symboliquement c’est important de voir aujourd’hui que tous les Sud-Africains se retrouvent dans ce jeu populaire. Le football en Afrique du Sud participe à une reconnaissance, à une affirmation culturelle.

RFI : Est-ce que le football fait évoluer la culture ?

C.B. :Le football permet de faire évoluer la culture. Grâce à des performances sportives, grâce à leur rôle du modèle social, le football peut donner un sens et une reconnaissance sociale à une certaine population. Je pense à des joueurs d’origine très modeste. Grâce au football, ils peuvent changer leur destination sociale. Les footballeurs à l’étranger peuvent apporter une autre vision de l’Afrique du Sud à l’extérieur. Le football peut contribuer à réunir les Sud-Africains. 

RFI : En France on a longtemps observé un certain clivage entre le monde intellectuel et le football. En Afrique du Sud, y a-t-il une plus grande connivence entre les intellectuels et les footballeurs ?

C.B. :Ici on rencontre l’influence britannique dans cette relation entre le monde intellectuel et le sport. En France, il y a une véritable méfiance des intellectuels pour parler du sport. Dans les pays britanniques ou dans les pays influencés par le mode culturel britannique, il n’y a pas cette rupture entre monde sportif et monde intellectuel. Là-bas, le football est considéré comme un mode de culture. Ce qui n’est pas toujours le cas en France.

RFI : L’Afrique du Sud, peut-elle retrouver une certaine fierté nationale à travers le football ?

C.B. :La première fierté de l’Afrique du Sud, c’est d’être le premier pays africain à avoir organisé la Coupe du monde de football, le plus grand événement médiatique mondial. Pour la seconde source de fierté nationale, il faudrait attendre les résultats de l’Afrique du Sud, pour savoir quels seront les impacts, quels seront les effets de l’après Coupe du monde, des éventuelles réussites de l’équipe sud-africaine sur l’avenir de l’Afrique du Sud.

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