Jafar Panahi déclare que ses geôliers menacent aussi d’emprisonner sa famille et de maltraiter sa fille dans une prison insécurisée dans la ville de Rejayi Shah. « Je ne veux pas être un rat de laboratoire, victime de leurs jeux malsains, menacé et torturé psychologiquement », dit le réalisateur enfermé, avant de conclure, « Je jure sur le cinéma, auquel je crois. Je ne cesserai ma grève qu’une fois mes volontés assouvies. »
Cannes multiplie les actions en faveur de Jafar Panahi
La comédienne Juliette Binoche a lu ce mercredi 18 mai au Pavillon Les Cinémas du Monde une lettre ouverte du réalisateur iranien Abbas Kiarostami dans laquelle celui demande la libération de son compatriote : « C’est le cinéma qui est mis à mal, et je suis profondément attristé de la situation. » Avant de défendre publiquement Panahi, des confrères iraniens avaient reproché à Kiarostami un trop grand silence.
Le festival de Cannes a multiplié les gestes en faveur d’une libération de Jafar Panahi. En signe de solidarité et de soutien, Tim Burton avait invité Jafar Panahi comme membre du Jury. Une chaise est maintenue vide durant tout le festival pour signaler son absence. Le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, et celui des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, avaient exigé « la libération immédiate » de Panahi. Le réalisateur avait remercié les ministres et le président du festival de Cannes pour leur soutien dans une lettre écrite dans sa prison de Téhéran.
Peut-être que Jafar a sous-estimé la situation
Panahi, qui va avoir 50 ans en juillet, préparait un film sur les évènements post-électoraux en 2009. La réélection contestée du président Mahmoud Ahmadinejad en juin dernier avait provoqué des manifestations sanglantes, une répression violente de l’opposition et une vague d’arrestations en Iran. « Peut-être que Jafar a sous-estimé la situation, mais j’espère qu’une issue positive est possible » avait remarqué Abbas Kiarostami lors d’une conférence de presse le 18 mai à Cannes. On ne peut rien prévoir en Iran, on ne peut qu’espérer. » Panahi avait soutenu le réformateur Mir Hossein Moussavi lors de la présidentielle en Iran et le réalisateur avait arboré l’écharpe verte de l’opposition iranienne lors du Festival des films du Monde à Montréal en août dernier. A son retour, les autorités iraniennes ont confisqué son passeport. Le 1er mars, le réalisateur a été arrêté à son domicile de Téhéran.
Le film n’a pas été tourné, et l’Etat iranien sait déjà que le film lui nuira
La célèbre avocate iranienne, Shirine Ebadi, Prix Nobel de la paix en 2003 pour son action en faveur des Droits de l’Homme, avait condamné l’arrestation de Jafar Panahi dans l’émission Internationales sur RFI, le 14 mars 2010 : « Monsieur Panahi est accusé d’avoir eu l’intention de tourner un film qui allait prendre position contre leur régime. Le film n’a pas été tourné, il n’a pas été montré, et eux, ils savent déjà, que le film nuira à l’Etat iranien ».
Primé à l’étranger, opprimé en Iran
Jafar Panahi, ancien assistant d’Abbas Kiarostami, compte parmi les plus influents réalisateurs du mouvement de la nouvelle vague iranienne. Il avait obtenu le Prix de la Caméra d'Or au Festival de Cannes en 1995 pour son film Le ballon blanc. En 2000, il s’est vu attribuer le Lion d’Or à la Mostra de Venise pour Le Cercle et au Festival du film de Berlin, il a obtenu en 2006 l’Ours d'Argent pour Hors Jeu. En Iran, même avant son arrestation, tous les films de Jafar Panahi ont été interdits de diffusion. Panahi montre dans ses films toute la force du cinéma. Dans Sang et Or (2003), il embrasse déjà tous les dérèglements de la société iranienne. Il décrit la présence policière, l’oppression des femmes ; il évoque une vraie poudrière à l’image du 'héros qui, à force d’encaisser, finit un jour par sortir de ses gongs, jusqu’à l’explosion'.
Les stars se mobilisent
Oliver Stone, Steven Spielberg, Robert De Niro, Martin Scorsese, Michael Moore… Les plus grandes stars du cinéma ont lancé une pétition pour exiger la libération du réalisateur : Nous sommes solidaires d'un confrère, réalisateur de cinéma, nous condamnons cette détention et nous demandons au gouvernement iranien de relâcher M. Panahi immédiatement (...) Comme ailleurs, les réalisateurs iraniens devraient être célébrés et non censurés, réprimés et emprisonnés.
En faisant le geste d’inviter Panahi comme membre du jury, le festival de Cannes reste politique et fidèle à son histoire : « Avant la Seconde Guerre mondiale, il n’y avait qu’un festival en Europe, à Venise, sous l’emprise mussolinienne » explique Véronique Cayla, actuelle présidente du Centre national de la cinématographie (CNC) et ex-directrice du Festival, dans le JDD. Le gouvernement français a voulu (à l’époque) créer une autre manifestation, avec une ambition de liberté et de pluralité culturelle. C’est la pérennité de cette politique qui explique que la France est la patrie du cinéma d’auteur.
L’évidence est sous nos yeux
Selon Amnesty International, qui a également demandé sa libération, le cinéaste est actuellement détenu à la prison d'Evin à Téhéran, avec un autre cinéaste iranien, Mohammad Ali Shirzadi, pour avoir soi-disant filmé une interview entre un défenseur des Droits de l'homme et un religieux dissident. Gilles Jacob, le président du festival, avait promis d’accompagner ce soutien [pour Panahi] par des démarches qui restent confidentielles. Malgré tous les efforts, le jour de l’inauguration « le vœu le plus cher » ne s’est pas réalisé : « L’évidence est sous nos yeux. Il ne viendra pas, déclarait Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, invité de l’émission Culture Vive sur RFI. Avoir lancé cette invitation et qu’il ne puisse pas l’honorer prouve que ce n’est pas un homme libre, il n’est pas libre de ses mouvements, il ne peut pas travailler. C’est aussi là-dessus qu’on veut attirer l’attention ».