Le cinéma va bien. La machine tourne.

Cannes est « la plus belle démocratie cinématographique du monde » dixit Thierry Frémaux, délégué général du festival. La Croisette se distingue par une cohabitation entre le divertissement façon Hollywood et le cinéma artistique à la française, avec le festival comme étendard. Cannes est avant tout un marché, qui finance les défilés bling-bling sur les marches drapées du tapis rouge… Derrière les coulisses, les réalisateurs, producteurs et distributeurs bataillent pour les marchés du futur.

« On n’est pas couché. » La boutade vient du président du festival, Gilles Jacob. La Croisette tient visiblement le choc de la crise économique mondiale. Le festival dispose cette année d’un budget de 20 millions d’euros, la moitié étant financée par les fonds publics, l’autre moitié par des partenariats. Au lieu d’un plan d’austérité, le festival lance fièrement pour l’édition 2010 son nouveau site internet en huit langues : « C’est un coût énorme. C’est la volonté d’internationalisation de la culture - à un moment où tous les gouvernements ont d’autres préoccupations que celle de la promotion de l’art, du cinéma, de la culture mondiale… ».

Le métier bouge tout le temps

Le festival prétend être le reflet d’une création cinématographique mondiale sans cesse en mouvement. Le festival de Berlin avait donné des signes de reprise de fréquentation ; Cannes espère renouer le plus vite possible avec les années fastes. A l’étranger, 2008 a été, avec 84 millions d’entrées, une année record pour le cinéma français. 2009 s’est révélé avec 66 millions d’entrées beaucoup moins catastrophique que prévu. « Le métier bouge tout le temps, mais le cinéma va bien » déclare Gilles Jacob. « En salle, il va très bien. Je prends la France comme exemple : il y a un système d’aides qui fait qu’on peut rencontrer des films, des auteurs, il y a tous les ans des premiers films. La machine fonctionne, la machine tourne. » Le cinéma français a tiré son épingle du jeu. En France, le nombre des spectateurs progresse avec régularité (200 millions d’entrées en 2009 contre 153 millions en 1999).

Le cinéma à deux vitesses

À l’international, l’année 2009 a été marquée par une baisse des entrées de 20 % pour les films français. La crise a fragilisé les distributeurs étrangers. Cela a détérioré la visibilité, la longévité, le nombre de copies des films français sortis à l’étranger. « On peut dire que la production française est un peu inquiète » rapporte Régine Hatchondo, secrétaire générale d’UniFrance. « Le cinéma fonctionne davantage à deux vitesses : avec des gros films, très financés, et des petits films qui ont plus de difficultés à se financer. C’est probablement l’effet de la crise, mais lié aussi au fait que les modes de consommation du cinéma par les spectateurs changent – en France comme dans le monde. »

Les garde-fous de l’exception française

Les nouveaux modèles économiques et la recette miracle n’ont pas encore été trouvés, mais le cinéma français possède de nombreux atouts. Les garde-fous de l’exception française fonctionnent à merveille. Le système original de financement de l’industrie cinématographique française repose sur une taxe sur les billets. Conséquence : les blockbuster américains financent les films français et les petits films d’auteurs en profitent. Les chaînes de télévision sont également soumises au financement des films (par exemple 19,5 % du chiffre d’affaires de Canal+). La France tient tête aux Etats-Unis concernant l’équipement des salles de cinéma en numérique ; les studios 3D du cinéma français sont considérés parmi les meilleurs au monde. Le festival de Cannes reste également dans l’offensive. Pour la première fois, la cérémonie d’ouverture sera diffusée par satellite partout en France, à condition que les salles de cinéma soient équipées en numérique.

Les Etats-Unis, l’Asie et l’Amérique latine ont accru leur participation

1200 séances de projections auront lieu entre les 12 et 23 mai. 10000 professionnels sont attendus en bas des marches. Cannes est LE centre névralgique pour tisser les réseaux. Là se déroule la traditionnelle réunion avec les 27 CNC européens pour négocier les futurs enjeux du secteur en Europe. « Les Etats-Unis, l’Asie et l’Amérique latine ont accru leur participation » selon Jérôme Paillard, directeur délégué du Marché du film, « mais aussi quelques pays africains, comme l’Ethiopie, le Mozambique, le Niger. Le CNC travaille actuellement sur des coproductions avec l’Afrique du Sud et sur un accord de coopération avec L’Egypte. »

Il y a beaucoup à faire avec le continent africain 

L’Afrique reste un continent difficile pour la production de films. En 2009, 13 films français ont cumulé en Afrique 568212 entrées, avec une recette de 1,3 millions d’euros. A Cannes, il y a trois films africains ou franco-africains dans la compétition officielle : Hors la loi de Rachid Bouchareb (Algérie), Teza  (Haïlé Gerima, Ethiopie) et le premier film tchadien dans l’histoire de la sélection officielle du festival, Un homme qui crie (LIEN article Keo), du réalisateur Mahamat-Saleh Haroun. Quel sera l’impact de cette offensive africaine ? « On sait que la production en Afrique est un sujet extrêmement sensible, observe Régine Hatchondo d’UniFrance. Tout ce qui donne une visibilité à ce continent dans le cadre des grandes manifestations, c’est très important. Il y a beaucoup à faire avec ce continent… On a parlé à UniFrance de la manière comment on pourrait entrevoir un festival de films français intelligent en Afrique.»

Un seul film américain
 

Les Etats-Unis restent avec 24 millions d’entrées de loin le premier marché pour le cinéma français. « Les Américains continuent à faire des films très politiques, sur la politique très contemporaine, s’exclame Thierry Frémaux. On a déjà des documentaires sur la crise. L’année dernière, c’était la question sur la crise, et maintenant il y a déjà des films. Des films extrêmement contemporains. » Un seul film américain a réussi à entrer dans la compétition officielle de Cannes : Fair Game (une cible facile), de Doug Liman -une enquête sur les faux documents de l'administration Bush concernant un éventuel trafic d'armes de destruction massive entre le Niger et l'Irak. Inside Job de Charles Ferguson; en séance spéciale de la sélection officielle, se présente comme « le premier film exposant la vérité choquante qui se cache derrière la crise économique de 2008. La dépression mondiale, dont le coût s’élève à plus de 20.000 milliards de dollars, a engendré, pour des millions de personnes, la perte de leur emploi et de leur maison. » 

L’ouverture avec la Chine

Est-ce vraiment un hasard si le film chinois « Rizhao Chongquing » de Wang Xiaoshuaï a complété la liste des 18 films qui briguent la Palme d’Or ? On doit laisser à la Palme d’Or sa virginité, mais le marché cinématographique chinois est immense et la France est en bonne position. Les recettes des films français en Chine ont augmenté d’une manière vertigineuse entre 2008 (1 million d’entrées et 2,7 millions d’euros) et 2009 (4,2 millions d’entrées et 11 millions d’euros). Quel impact aurait un film chinois primé à Cannes pour le cinéma français en Chine ? « L’organisation d’un festival chinois en France, d’un festival français en Chine, des coproductions, des films chinois sélectionnés dans de grands festivals de cinéma internationaux, tous ces éléments sont des facteurs qui permettent ensuite - sur des bases beaucoup plus saines et beaucoup plus éclairées – de lancer des négociations d’ouverture respective de nos marchés. »

 

 

 

 

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