Dreamlands, les pays du rêve et du cauchemar

Avec sa tour Eiffel, son Centre Pompidou et son Disneyland, Paris est la ville idéale pour l’exposition Dreamlands. Elle montre l’influence des expositions universelles et des parcs d’attractions sur l’architecture du sensationnel de la ville moderne et des cités du futur, depuis 1889 à l’exposition universelle de Shanghai 2010, également représentative de l’avènement de ce monde urbain spectacularisé. Une exposition au Centre Pompidou avec 300 tableaux, sculptures, installations, photographies, vidéos, maquettes, à voir, à lire et à écouter jusqu’au 9 août.

Les paysages de rêve nous accueillent avec une mélodie sucrée, la musique promotionnelle du parc d’attractions Dreamland, inauguré en 1904. En face se dresse un diaporama de la tour Eiffel en construction. Nous sommes en 1889. Une année décisive pour une rupture radicale avec le passé des expositions universelles et le futur radieux des parcs à thème -longtemps avant la percée de Disneyland. « 1889 est vraiment un tournant » explique Quentin Bajac, le commissaire de l’exposition: C’est le moment où les expositions universelles - qui jusqu’ici avaient une visée essentiellement commerciale et pédagogique - deviennent beaucoup plus spectaculaires et ludiques. La tour Eiffel n’avait aucune fonction à l’époque. Elle est représentative de ce mouvement vers une spectacularisation croissante. »

Précurseurs d’une architecture fantasmagorique

Dans l’espace clos de l’exposition universelle à Paris se trouvent des pagodes chinoises, des palais italiens et l’habitat germanique à colombage. La culture des parcs d’attractions et de l’architecture spectaculaire confirme des racines françaises. Le titre en anglais de l’expo nous mène en bateau. Dreamland, c’est le nom d’un parc d’attractions sur le site de Coney Island à New York qui attirait les foules en 1904. Des cartes postales historiques nous montrent des montagnes russes, une balade embarquée sur les « canaux de Venise », une escalade sur les cimes des montagnes suisses ; précurseurs d’une architecture fantasmagorique qui fascine aussi les artistes : Fernand Léger, André Breton et même le sculpteur Constantin Brancusi, fan du Luna Park qui ouvrit ses portes à Paris en 1909.

Brancusi au Luna Park

« Brancusi n’était ni surréaliste, ni dadaïste, mais il était fasciné par des formes vernaculaires, populaires. On le ressent dans sa sculpture, dans son travail » révèle Quentin Bajac. « Comme Fernand Léger, il était fasciné par les moteurs d’avions et par toutes ces formes nées de la culture industrielle. Cette génération avait une fascination pour ces parcs d’attraction. Une attitude décomplexée vis-à-vis de cette industrie de loisirs naissante. C’est un phénomène qu’on retrouve beaucoup aujourd’hui chez des artistes contemporains, une interrogation critique, distanciée, parfois ironique, mais sans forcement une animosité extrêmement forte comme dans les années 40, 50 ou 60. »

Le photographe britannique Martin Parr montre les touristes à Las Vegas avec son regard à la fois fasciné et décalé. L’Allemand Andreas Gursky crée Dubaï World III, des tableaux photographiques mettant en œuvre une ironie et un détachement inégalés. Les deux photographes nous montrent la schizophrénie de l’architecture démesurée et du touriste globalisé voyageant à des milliers de kilomètres pour se faire prendre en photo devant un monument qu’il a déjà vu en image des milliers de fois. Le Chinois Liu Wei rassemble sur 20 m² les bâtiments du pouvoir faits avec des os à mâcher pour chiens dans une ville fragile et fantomatique.

Le dreamland-rap sur un champs de ruines

Malachi Farrell danse le dreamland-rap sur un champ de ruines: Nothing stops a New Yorker ; des buildings en carton munis de bras robotisés s’agitent sur fond de rap, sirène et alertes radiophoniques. Kader Attia transforme 19 réfrigérateurs en magnifiques gratte-ciel avec des tesselles de miroirs, et Yin Wiuzhen reconstitue New York avec des petites trousses et empaquette la ville-métropole dans une petite valise. Pour le co-commissaire, Didier Ottinger, avec l’exposition on peut « mieux comprendre la place de la culture dans un monde en train de devenir un monde où le loisir et le tourisme sont absolument envahissants. Comment la culture se positionne-t-elle, que devient-elle dans un univers de ce type-là. »

Préserver les façades et mépriser l’espace intérieur ? 

Avec ses jeux d’illusions et sa silhouette de gratte-ciel, le parc d’attraction Dreamland avait accouché du monstre Manhattan. New York est devenu l’archétype de la métropole moderne. Ensuite le modèle Las Vegas jaillit des sables et réussit sa conquête mondiale : des façades en trompe-l’oeil et une architecture du divertissement ont permis la mutation du centre de jeux en modèle urbain post-moderne. Autrefois, les parcs d’attractions étaient éphémères et situés dans une partie de la ville. Aujourd’hui des villes entières deviennent des parcs à thème permanents. « C’est une sorte de chevauchement, une confusion de plus en plus grande entre le monde réel et le monde virtuel » explique Didier Ottinger. « On le voit dans les projets exposés ici, par exemple une ville qui doit être construite, peut-être, un jour dans le désert de Dubaï. Le film promotionnel de cette ville mélange des vues réelles, prises par exemple à Venise avec le même plan de la maquette de la future ville. Avec des images, qui viennent de captures d’internet et des images qui sont totalement synthétiques, artificielles. C’est une des constantes qui caractérisent l’imaginaire de la ville contemporaine : cette fusion, cette porosité entre le rêve, l’imagination et le réel. Le réel semble de plus en plus affecté, modifié, formaté par les puissances de rêve, les puissances de l’irrationnelle, du plaisir, du jeu. »

Bye, bye la raison, la fonction, l’efficacité de l’architecture moderne ?

La Chine compte déjà plus de mille parcs d’attractions. Le diaporama de Rémy Ferrand et Emilie Cam montre Shangwhy - ou comment Shanghai érige dans sa périphérie des villes identiques à l’ancienne Weimar, aux vieux quartiers de Londres ou d’Amsterdam. Dubaï se vante de construire une tour Eiffel plus grande qu’à Paris. Le président français avait également trouvé son bonheur suprême dans un parc à thème. Ce n’est pas au Palais de l’Elysée ou au Château de Versailles que Nicolas Sarkozy officialisait sa liaison avec Carla Bruni, mais à Disneyland Paris. Son projet géant d’un Grand Paris, pour donner à la capitale une nouvelle identité, montre quelques ressemblances avec la Cité du futur (« bonheur et progrès ») imaginée par Walt Disney en 1960.

Mais attention : la méthode Dreamlands n’est pas une garantie pour un happy end. Le projet de Disneyworld a échoué et Dreamland, le parc d’attractions sur Coney Island, a trouvé lui aussi une fin malheureuse : il a été détruit par un incendie en 1911.

 

 

 

 

 

 

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