« Je suis guinéen d'origine, malien de naissance et burkinabè d'adoption. Je ne suis passé par aucune école de théâtre, si ce n'est la grande école de la rue, de la vie », se définissait ainsi le comédien qui était aussi acteur pour le cinéma et metteur en scène. Son père, un griot, lui enseignait de ne jamais se retourner, de vivre toujours devant soi, d’aller au bout de ce qu’on entreprend dans la vie.
Le sage du théâtre
Une présence aigüe du présent qu’il avait retrouvé chez Peter Brook au Théâtre des Bouffes du Nord. Dans la fameuse mise en scène du Mahabharata de Peter Brook en 1985, il incarnait le sage Bhisma, se souvient Sharmila Roy, artiste musicienne, qui avait partagé cette aventure et a sympathisé avec ce « bonhomme avec une grande culture et un savoir-faire » : « Dans la vie, il était chaleureux, amical, avec beaucoup de sens de l’humour, de présence. Mais il n'a joué que des rôles austères, rigoureux, des caractères d’épopées comme Prospero dans La TempêtedeShakespeare ou Bishma du Mahabharata. Il a dû répondre à la nécessité de ces rôles. Il était un gardien de temple, un gardien des valeurs, un gardien qui protège les autres, qui dirige, qui maîtrise les situations adverses. »
« La perfection n’est pas à notre portée » avait déclaré Sotigui Kouyaté, « mais on peut être à la recherche d’une qualité ». Au début, il n’aimait pas le théâtre, il préférait la danse. Un jour, un ami lui demande de régler dans sa pièce de théâtre une chorégraphie d’une danse guerrière. Il s’avère que les comédiens ne savent pas danser. Kouyaté ammène ses danseurs et se met à jouer dans le théâtre.
Avec mon maigre salaire, j’alimentais mes deux compagnies de théâtre
Avant de devenir comédien, il a exercé beaucoup de métiers : il était menuisier, chanteur, boxeur, danseur, chorégraphe de ballet, il a joué deux fois en tant que footballeur professionnel dans l’équipe nationale de la Haute-Volta contre la France, et il était agent de la fonction publique burkinabé : « Avec mon maigre salaire de fonctionnaire, j’alimentais mes deux compagnies de théâtre. J’avais ma troupe de Volta et un trio d’art dramatique que l’ambassade de France me finançait, qui me permettait d’aller les week-ends dans les villages les plus éloignés où les enfants étaient dépourvus de distractions et d’animations. Je faisais des représentations avec des paravents, des lampes à pétrole. Je faisais trois spectacles le samedi et dimanche et je rentrais. C’était en 1966. Jusqu’à mon départ en France, j’avais la troupe de la Volta. Ensuite je suis fortuitement venu au cinéma. »
Après plusieurs films burkinabès, notamment de Mustapha Diop, Sotigui Kouyaté a été à l'affiche en 1986 de Black Mic Mac, comédie du Français Thomas Gilou, avant de crever l’écran dans IP5 de Jean-Jacques Beineix avec Yves Montand, Tombés du ciel de Philippe Lioret, Le Maître des éléphants de Patrick Grandperret, La Genèse d'Oumar Sissoko ou Little Senegal de Rachid Bouchareb. Ce n’est qu’en 2009 qu’il fut récompensé avec l’Ours d’argent du meilleur acteur dans London river.
Il était modeste comme les plus grands
Chez Peter Brook, il avait appris l’exigence artistique à la manière occidentale et l’ouverture vers le monde. Kouyaté est devenu en Occident un symbole de sagesse et d’exigence morale se montrant toujours modeste comme les plus grands. Ses derniers 17 ans, il avait vécu aux Lilas près de Paris. Dans cette commune il avait créé une association « La voix du griot ». Un signe extérieur, sa mission continuera aussi après sa mort. Ses dix enfants sont tous devenus artistes comme le réalisateur Dani Kouyaté ou le conteur Hassane Kassi Kouyaté.
Tout le monde joue un rôle dans sa vie
« Sotigui est l'un des plus grands sages de la culture qui ont apporté la renaissance aux arts vivants en Afrique », a estimé Baba Hama, le ministre burkinabè, ancien délégué général du Festival panafricain du cinéma et de la télévision d’Ouagadougou (Fespaco). Le ministre de la Culture du Burkina Faso, Filippe Sawadogo, a déploré « une grande perte pour le cinéma et le théâtre dans le monde, en Afrique et au Burkina Faso ». Kouyaté s’est considéré comme fils d’Afrique et citoyen du monde. Il avait toujours souligné que « tout le monde est acteur et tout le monde joue un rôle dans sa vie. » Pour lui, un acteur, c’était d’abord un être humain. « Le cinéma n’a pas de couleur. Il n’y a pas un cinéma africain, il y a un cinéma. »