Paris en Rose et Rheims

« Rose, c’est Paris » de Bettina Rheims et Serge Bramly explore la capitale par les voies souterraines de nos fantasmes. Une exposition en 110 photos et un film pénètre la métropole par des chemins inhabituels. La photographe – mondialement connue pour ses images voyeuristes et controversées de prostituées, transsexuelles et nus féminins – s’expose elle-même pour la première fois à travers sa propre vision de sa ville natale. A voir à la Bibliothèque Nationale de France jusqu’au 11 juillet.

 

« Magic City III » se nomme la photo qui m’accueille dans l’exposition, une Madame Fantômas avec cache yeux et sexe nu. Bettina Rheims est là aussi ; au travail, entre les cimaises de la galerie Mansart, l’artiste est à mille lieues de son image de maîtresse du porno chic et glamour : silhouette fine, sourcils de chat, très naturelle, sans aucun maquillage ni prétention, et munie d’une petite bouteille d’eau, prête pour l’interview comme pour une séance photos : « Paris, c’est ma ville. Une ville magique, secrète, mystérieuse. Un rêve. Un désir. C’est l’histoire d’une vie. Paris, ce n’est pas une chanson. Paris, c’est le rêve qu’on a y inventé et réalisé. »


L’origine de Rose

Dans le Paris de Bettina Rheims, il y a une femme fatale couchée sur un lit - une ampoule dans la main, piercing au nombril - qui nous montre l’origine du monde. L’histoire de « Rose, c’est Paris » commence par une jolie fille vêtue d’une robe maculée de sang et qui pose devant un avis de recherche. « Rose est l’héroïne du projet. Elle arrive à Paris à la recherche de sa sœur jumelle disparue. Le titre ‘Rose, c’est Paris’ est un hommage à Marcel Duchamp et son personnage fictif de Rose Sélavy, Mais on peut aussi entendre ‘Rose séparée’. C’est l’histoire d’une séparation de deux sœurs, dont l’une a disparu. Et puis, ‘séparée’, c’est aussi : ‘c’est pareil’ ; les sœurs sont des jumelles. En partant de quelques jeux de mots, on construit une histoire. »

Les nus – outil visuel
 

Ready-mades, surimpressions, jeux de mots, l’envie de la volupté et du vice, des rêves et des cauchemars… L’univers surréaliste d’André Breton et Marcel Duchamp fusionne avec l’outil visuel de Bettina Rheims : la perception du monde et des fantasmes à travers le nu féminin. Le parcours de l’expo est déguisé en labyrinthe. Chaque visiteur prend un chemin différent. Chaque photo est une mise en scène destinée à nous perdre


Sur « Joyau de l’art gothique » se pointe une fille en combinaison latex avec poupée gonflable devant la Sainte-Chapelle, « L’Immortel » est le portrait d’un académicien en habit avec son épée devant le Sacré Cœur. Les monuments sont présents mais secondaires, ils sont juste l’accélérateur de nos fantaisies. « La Joconde » de Rheims prend toute seule le métro, le regard émerveillé et un sein découvert entre deux tatouages. « Paris, c’est la Joconde et la Tour Eiffel. Même quand le Louvre est vide, vous voyez des milliers de gens agglutinés devant la Joconde. Elle a continué à fasciner les gens à travers des siècles. On n’en sait rien, ça reste un mystère et notre histoire est aussi un mystère. »

Créer son propre fantasme

« Le jeu de la reine », « Interdit aux hommes », « La fille au casque d’or », chaque photo sonne comme le titre d’un livre, et incite à créer son propre fantasme de Paris. « On voulait s’enfoncer dans un Paris plus inconnu, plus mystérieux, y raconter une histoire qui n’est pas une histoire entièrement rose. Il y a une partie qui est plus obscure, la partie de Fantômas, ce héros du début du siècle qui parcourt Paris pour faire le mal. Il y a le Paris du plaisir, du sexe aussi, un Paris plus noir, plus dangereux. »

Il y a aussi les amis stars qui ont joué le jeu: Monica Bellucci et sa « Tenue de Gala », Valérie Lemercier mange « Poulet frites », Anthony Delon ose « Le prétendant », Charlotte Rampling en grand-mère « Madame Jacquot » – « tous en tant que bénévoles », raconte l’écrivain Serge Bramly avec sa petite moustache à la Frank Zappa et complice de Bettina Rheims dans ce projet: « Par exemple Azzedine Alaïa, l’idée de poser lui plaisait, mais il ne voulait surtout pas être couturier. Quand on lui a proposé ce rôle de psychanalyste, il trouvait ça formidable. L’enjeu était toujours de sortir les gens d’eux-mêmes pour les mettre dans un fantasme… ».
 

« La photo est littéraire »

À la recherche de la sœur jumelle disparue, nous découvrons des endroits incroyables de la capitale : le dôme de l’Observatoire (« à la fois Jules Vernes et Tintin »), les magasins vides de la Bibliothèque Nationale (« entre architecture carcérale et vaisseau ») ou la terrasse de l’appartement de Boris Vian, avec sa moto rouillée. 

Bettina Rheims considère « Rose, c’est Paris » comme un projet de maturité. Dans ses images, elle dévoile le territoire de ses rêves et une partie de son intimité. Elle met en avant son fils dans le costume d’académicien de son père résistant Maurice. Elle montre le restaurant où elle allait manger en famille et le petit magasin du Marais où elle fait ses courses depuis trente ans. Le tout s’accompagne d’une musique d’un Paris intemporel et d’un film tourné par Serge Bramly. Un propos littéraire ? « La photo est assez littéraire quand on y réfléchit » remarque l’écrivain. « C’est plus proche du poème que du roman. L’originalité de ce travail est que chaque image, chaque scène de film, est comme une scène de fiction dont on ne connaît pas le début, ni la fin. C’est à vous de reconstituer l’histoire. »

Un nouveau genre

Le Paris en Rose et Rheims se compose de sons, d’un film de 52 minutes, de photos, et d’allusions à la peinture et au cinéma. « C’est un genre qui n’existe pas » résume Bettina Rheims : « C’est un nouveau genre de double récits. Personne n’a jamais travaillé comme ça. Il est difficile de qualifier quelque chose qui n’existe pas. C’est une espèce de quête initiatique.

 

 

 

 
 

 

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