« Nul ne doit ignorer le sacrifice de ces hommes venus d’ailleurs ». Tels étaient, à Reims, les propos tenus en novembre 2008 par Jean-Marie Bockel, alors secrétaire d’État aux Anciens combattants. Ces mots devaient mettre un terme à un oubli de taille, celui du dévouement pour la République française des troupes recrutées dans les colonies d’Afrique noire. Plus d’un an après, pourtant, le monument qui doit réparer l’omission n’est pas encore prêt.
Le 8 mai 1945, l’Europe en finit avec le carnage de la Seconde Guerre mondiale. À l’heure du bilan, en septembre 1945, Charles de Gaulle déclare : « Au moment où le but est atteint, je tiens à vous remercier amicalement, simplement, au nom de la France !» Cet hommage envers les soldats des colonies, peu de gens s’en souviennent.
Aujourd’hui on continue de se battre pour la reconnaissance de ces «héros de l’armée noire». L’ANACR (Association républicaine et Amis de la Résistance), le CRAN (Conseil représentatif des associations noires), la CIMADE (Comité Inter mouvement auprès des évacués)...
Autant d’associations qui défendent ces «oubliés de la République».
À Reims, c’est l’AMAN (Association pour la mémoire de l’Armée noire), créée en janvier 2009, qui s’engage à promouvoir «le développement de la mémoire des troupes coloniales d’origine subsaharienne». Point d’orgue de leur action, l’inauguration, souhaitée en novembre 2010, d’un monument qui doit ressusciter la mémoire des tirailleurs sénégalais.
Une reconnaissance bafouée
C’est au lendemain de l’Armistice du 11 novembre 1918 qu’est décidée, à Reims, la construction d’un monument à la gloire de ceux qu’on appelait les «tirailleurs sénégalais». Quelques semaines plus tôt, plusieurs de ces hommes, issus des colonies, sacrifiaient leur vie à la défense de la Ville des Sacres. L’inauguration a lieu le 13 juillet 1924, offrant l’estime et l’admiration que ces combattants méritaient. On connaît la suite…
Durant la Seconde Guerre mondiale, les troupes allemandes d'occupation ont fait disparaître la statue, ne laissant que le socle en pierre. Si une stèle supplée depuis 1963 à la monumentale statue de bronze, la sous-préfecture de la Marne reste nostalgique de cet ensemble de 7 m de haut qui présentait un groupe de combattants, français et africains, unis dans une scène glorieuse. En 2007, une commission émet donc l’idée de reconstruire l’édifice.
Les réactions ne sont pourtant pas unanimes. Si la décision ravit tous les défenseurs de la mémoire des tirailleurs, elle est moins bien appréciée par ceux qui entendent préserver la mémoire des anciens combattants métropolitains, et les deux parties se disputent la gloire de la défense de Reims en 1918.
À l’heure du cinquantenaire de l’indépendance des anciennes colonies, la statue elle-même fait polémique. Constituée de cinq soldats dont 4 Noirs, c’est pourtant ici le seul Blanc qui tient le drapeau…
Plus que ce débat mémoriel, ce sont les querelles financières qui mettent en péril la réalisation du projet. Le vice-président de l’AMAN, Cheikh Sakho en serait presque dépité. Lui qui s’est battu pour convaincre tous les partenaires de mettre la main à la poche aujourd’hui déchante.
Si l’État et la région avaient initialement promis de verser 60% des 800 000 euros nécessaires, lors de la dernière assemblée générale de l’AMAN, le 16 décembre 2009, les discussions envisageaient désormais un mécénat privé ou la participation des associations. Mieux, l’élu communiste Michel Guillaudeau, proposait que ceux qui l'ont détruit le financent : «pour le financement de la reconstruction, je propose que l'on sollicite les casseurs». Autrement dit, demander à l’Allemagne un co-financement ne l’aurait pas choqué. Ses collègues ont protesté.
En conséquence, le calendrier prévisionnel est bouleversé. Alors qu’Adeline Hazan, maire de Reims, désirait inaugurer le monument lors des prochaines célébrations du 11-novembre, l’idée même de la pose d’une première pierre est en suspens. A moins d’une pierre virtuelle…
Julien Lampin
Master de journalisme européen (Université de Reims)
Dossier complet : Reims et les héros de l'armée noire