Déplacement difficile pour Angela Merkel en Turquie

Ce lundi 29 mars, la chancelière allemande se rend pour la deuxième fois en Turquie depuis son élection il y a quatre ans et demi. Berlin et Ankara ont des points de vue divergents sur de nombreux dossiers. L’économie et la culture pourraient permettre à Angela Merkel de marquer quelques points.

De notre correspondant à Berlin, Pascal Thibaut

Le dialogue de sourds est total sur la perspective européenne de la Turquie. Angela Merkel, sans boycotter les négociations d’adhésion d’Ankara à l’Union européenne, veut y voir un processus ouvert. Elle continue, prolongeant la politique traditionnelle des chrétiens-démocrates allemands, et a fortiori de leurs alliés bavarois, à mettre en avant un « partenariat privilégié » avec la Turquie.

Angela Merkel a réitéré son point de vue en amont de sa visite. Andreas Schockenhoff, responsable pour la politique étrangère du groupe parlementaire chrétien-démocrate au Bundestag, ne veut pas officiellement rejeter une adhésion turque. Il met en avant le fait qu’Ankara ne satisfasse pas les critères requis : « Pour le moment, on a l’impression que la Turquie n’a pas la volonté d’adapter l’acquis communautaire. Si l’Union européenne veut ancrer la Turquie à l’Ouest, il faut songer à une alternative au cas où la Turquie ne soit pas capable ou ne veuille pas adapter l’acquis communautaire intégral ». Les intéressés ne veulent, eux, rien savoir d’une relation privilégiée comme l’a répété Tayyip Erdogan quelques jours avant le déplacement de la chancelière.

La Turquie a encore beaucoup à faire, selon Angela Merkel

La demande d’Ankara de voir supprimée l’obligation faite à ses concitoyens d’obtenir un visa pour se rendre en Europe de l’Ouest risque, elle aussi, de ne pas être satisfaite. Angela Merkel a souligné, avant son voyage, que la Turquie avait encore beaucoup à faire pour permettre une suppression de cette disposition, notamment en ce qui concerne le retour de réfugiés qui ont transité par ce pays avant d’arriver en Europe ou la sécurité des frontières extérieures turques.

Autre dossier diplomatique sur lequel Berlin et Ankara ne sont pas sur la même longueur d’onde, celui du nucléaire iranien. Tayyip Erdogan s’est prononcé, avant l’arrivée d’Angela Merkel, contre des sanctions supplémentaires à l’encontre de Téhéran estimant que celles prises jusqu’à présent étaient restées sans conséquences. Pour le Premier ministre turc, la priorité doit rester au dialogue diplomatique. Les réticences turques interviennent alors que certains pays jusqu’à présent réticents face à des sanctions supplémentaires – la Chine et la Russie - paraissent assouplir leurs positions. Celle de la Turquie n’est pas quantité négligeable, Ankara détenant actuellement un siège au Conseil de sécurité de l’ONU.

Enfin, les déclarations de Tayyip Erdogan sur l’Arménie rejetant l’existence d’un génocide met un peu plus d’huile sur le feu et fait figure de provocation. Les milieux gouvernementaux allemands ont affirmé que le dossier serait évoqué lors du voyage de la chancelière. Reste à savoir comment Angela Merkel va s’exprimer sur ce sujet des plus sensibles.

La singularité des relations germano-turques

Les voyages officiels dans le cadre des relations germano-turques ne sont pas des déplacements classiques à l’étranger. La présence sur le sol allemand de trois millions de Turcs explique cette singularité. Leur intégration figure régulièrement au menu des discussions bilatérales. Là encore, le Premier ministre Erdogan s’est fendu de déclarations qui ne sont pas passées inaperçues avant l’arrivée d’Angela Merkel. Il a à nouveau plaidé pour la création de lycées turcs en Allemagne pour améliorer la maîtrise par ses compatriotes de leur langue. Une proposition rejetée très largement en Allemagne. « Des lycées turcs, c’est un symbole de non intégration, d’une communauté qui rejette le modèle allemand et privilégie une société parallèle. Ca n’est pas acceptable », estime le député chrétien-démocrate Andreas Schockenhoff.

Dans son message vidéo hebdomadaire sur internet, Angela Merkel a aussi plaidé pour l’apprentissage de la langue allemande comme condition nécessaire à une intégration réussie. Un point de vue partagé par les représentants de la communauté turque en Allemagne.
Le débat témoigne en tout cas des débats récurrents sur l’intégration déficiente de cette communauté, chaque partie tendant à reprocher à l’autre d’être responsable des problèmes.

En même temps, la présence de cette grosse communauté en Allemagne témoigne des relations importantes entre les deux pays. Des relations qui s’illustrent en matière économique. En 2008, les exportations allemandes vers la Turquie étaient plus importantes que vers le Japon. Quatre mille entreprises allemandes sont présentes sur place et Angela Merkel sera accompagnée d’une forte délégation économique durant son déplacement de deux jours à Ankara et Istanbul. La Turquie s’est bien tirée de la crise économique et l’Allemagne veut continuer à y développer sa présence.

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