Le voyageur accostant sur les rives de la Volga à Kazan ne peut que se frotter les yeux. Devant lui, impérial, le Kremlin de la ville en impose avec ses murs blanchis qui encerclent, comme souvent dans les villes de la Russie européenne, une cathédrale et le siège du pouvoir local. Mais ici, chose unique, c'est une immense mosquée qui domine le paysage du Kremlin avec ses quatre minarets majestueux.
Une carte postale qui est à l'image de cette république, située à 700 kilomètres à l'est de Moscou. Les quatre millions d'habitants du Tatarstan se divisent à parts égales entre Tatars musulmans et Russes orthodoxes. Descendants des peuples de la Horde d'Or, les Tatars partagent depuis des siècles le même destin que les Russes : en 1552, Ivan le Terrible conquérait la ville de Kazan avant de poursuivre ses annexions à l'Est. Les Tatars constituent ainsi le premier peuple non-slave à avoir été rattaché à l'Empire russe.
Après 400 ans de vie commune, d'assimilation et de russification, les Tatars vivent aujourd'hui une dualité culturelle. « La Russie est notre Etat, notre patrie, tout comme l'est le Tatarstan ; nous formons l'un des peuples constitutifs de la Russie », explique Marat Gibatdinov, l'un des responsables de l'Institut d'Histoire de Kazan.
Le patriotisme tatar est cependant vif, et il a pu retrouver une place publique à la faveur de la chute de l'URSS. Les deux seules mosquées que comptait Kazan à l'époque sont désormais des dizaines ; l'enseignement en langue tatare, d'origine turque, s'est développé, tout comme la presse ; le russe cohabite désormais avec le tatar dans l'affichage municipal.
Pour bon nombre de Tatars, cette période de renaissance est liée à un homme : Mintimer Chaïmiev, ministre de la république soviétique tatare dès 1969, à l'époque de Leonid Brejnev, et surtout président de la République du Tatarstan depuis 1991, lors de l'implosion de l'Union soviétique.
Sous la présidence de Boris Eltsine, qui avait enjoint les régions russes à « prendre autant d'autonomie qu'elles pouvaient en avaler », Mintimer Chaïmiev avait concocté pour sa République un statut unique « d'Etat souverain associé à la Russie ». Le Tatarstan prélevait ses propres impôts, gérait son système d'éducation, s'imposait face à Moscou en tant que république riche de son pétrole, dont elle est le deuxième producteur du pays. Dans les années 2000, contraint par Vladimir Poutine à abandonner de nombreuses prérogatives, le « Babaï » (grand-père, en tatar) avait néanmoins su se maintenir.
Ce sera finalement le « renouvellement des cadres », imposé par Dmitri Medvedev, qui aura eu raison du vieux président tatar : le 22 janvier dernier, le Kremlin annonçait la « décision du président Chaïmiev de ne pas demander au président Medvedev un nouveau mandat ». Depuis 2004, le Kremlin « propose » un candidat à la tête des républiques, lequel est automatiquement accepté par les assemblées régionales.
Pour remplacer le babaï, Moscou a choisi un technocrate qui devrait aplanir les relations parfois compliquées de Kazan avec le centre. Roustam Minnikhanov, actuel premier ministre, est devenu jeudi 25 mars le nouveau président de la République du Tatarstan.
Il ne faut cependant pas enterrer trop vite Mintimer Chaïmiev. Quelques semaines après son départ « volontaire », le Parlement du Tatarstan votait la création d'un poste de Conseiller d'Etat, destiné au président sortant, dont le texte précise qu'il ne pourra être démis de ses fonctions. Une position idéale pour celui que la presse russe a baptisé le nouveau Deng Xiaoping tatar...