La ministre française de l’Economie Christine Lagarde a levé un tabou en s’interrogeant sur la stratégie économique allemande. Dans une interview au Financial Times daté du lundi 15 mars 2010, Christine Lagarde a vertement critiqué l’Allemagne qui, depuis dix ans, réduit les coûts du travail pour améliorer la compétitivité.
La modération salariale de ces dernières années a permis aux produits « made in Germany » d'être moins chers que leurs concurrents sur les marchés mondiaux. Ce qui permet à Berlin de dégager un excédent commercial, au détriment des autres membres de la zone euro qui peinent, eux, à l’export, selon Christine Lagarde.
Des coûts de main d’œuvre faibles
La différence entre la stratégie de Berlin et celle de ses partenaires européens ne fait pas de doute comme le précise l’économiste Sylvain Broyer spécialiste des questions européennes à Natixis : « La France depuis le milieu des années 1990 a perdu près de 5 points de parts de marché, ce qui représente 1 200 milliards d’euros annuels. En revanche, l’Allemagne a su stopper cette tendance à la baisse, grâce à une politique salariale extrêmement faible depuis 2003. Alors que les coûts salariaux ont grimpé de 35% en France, ils n’ont augmenté que de 5% en Allemagne ». Cette stratégie a réussi à Berlin, puisque l’Allemagne est aujourd’hui deuxième exportateur mondial derrière la Chine à qui elle a très récemment cédé sa première place.
Si cette critique n’est pas nouvelle, la franchise des propos de la ministre est inhabituelle à l’égard du principal partenaire de Paris en Europe. Berlin a vivement réagi en qualifiant ces attaques d’injustes. « Nous ne sommes pas un pays qui décrète les salaires ou la consommation », a estimé un porte-parole du gouvernement. De son côté, l'association des exportateurs allemands s'est montrée plus virulente : « Notre secret, ce n'est pas le prix, mais la qualité et l'innovation », a expliqué son porte-parole. Pour le ministre allemand de l’Economie, Rainer Bruderler, « c’est aux autres de devenir aussi compétitifs que l’Allemagne ». Si les politiques sont unanimes, du côté de la presse allemande, les avis sont partagés. Le Financial Times Deutschland estime que « Berlin a bien mérité la gronderie ».
Soutien des partenaires européens à Paris
Si l’on en croit le quotidien allemand Bild, la position française est partagée par plusieurs pays Etats membres de la zone euro, inquiets de leurs déficits courants avec l’Allemagne. Les Espagnols, dont le pays assure la présidence tournante de l’Union, ont approuvé les déclarations de Christine Lagarde. Lundi soir, le commissaire européen chargé des Affaires économiques, Olli Rehn, a lui aussi acquiescé. Même son de cloche du côté du commissaire à la Concurrence, l’Espagnol Joaquin Almunia, qui a appelé à « faire attention à tous les déséquilibres, y compris les excédents ».
En revanche, le président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, a pris ses distances avec les critiques du ministre français, jugeant que le problème allemand n'était pas prioritaire. « La question se pose, a-t-il reconnu, mais pas avec la même urgence » que celle de la perte de compétitivité d'un pays comme la Grèce. Le débat sur les politiques économiques est donc de nouveau ouvert. Un sujet plus que sensible, si l'on en juge le nombre des réactions, et qui illustre le besoin criant d’une plus grande cohérence de politique économique entre les différents pays européens.