Waheed se dit seul, isolé. Depuis son retour forcé à Kaboul, il n'a vu personne de sa famille, hormis une tante, qui habite à Charikar, au nord de la capitale afghane. Il est resté dix jours chez elle. « Elle a sa vie, ses enfants. Elle m'a demandé de partir », dit-il. Depuis, Waheed loge dans le restaurant de Charikar où il a trouvé une place de commis payée 100 dollars par mois. Il dort dans une pièce avec trois autres employés.
Fin octobre, Waheed voulait aller au mariage de sa sœur à Mazar-i-Sharif, dans le nord de l'Afghanistan. Il a annulé son voyage au dernier moment. « Quelques jours avant que j'arrive, elle a reçu un coup de téléphone d'un général afghan. Il a dit qu'il savait que j'étais rentré. Il voulait savoir où j'étais », explique Waheed. Selon lui, ce général afghan, un ancien commandant de l'Alliance du Nord, le groupe longtemps dirigé par Ahmed Shah Massoud qui luttait contre les talibans, veut le tuer. Une histoire afghane typique, dans laquelle des civils se trouvent coincés entre pouvoir en place et opposition armée.
« Il y a dix ans, les talibans (alors au pouvoir, ndlr) sont venus à la boulangerie de mon père à Bagram, au nord de Kaboul. Ils ont demandé où habitaient les commandants de l'Alliance du Nord pour récupérer leurs armes. Mes frères le leur ont dit. Les talibans y sont allés et ont emmené 27 personnes à la prison de Pul-i-Charkhi. Ils les ont torturées », explique-t-il. Parmi les victimes des talibans, figure le père du général afghan. Aujourd'hui, celui-ci veut toujours se venger.
Prochaine étape, Téhéran ?
Apeuré, Waheed se cache. Il ne prévient personne lorsqu'il vient à Kaboul. Au chauffeur du taxi collectif, il dit qu'il ne fait qu'une halte dans la capitale afghane, qu'il va jusqu'à Suroubi, sur la route de Jalalabad. Il a appelé sa sœur, et un oncle et une tante qui sont restés à Bagram, pour leur annoncer qu'il est à Nimroz, à la frontière iranienne. « Je ne peux pas leur dire la vérité, c'est trop dangereux. »
Depuis trois mois, Waheed tente de rejoindre ses parents à Téhéran (Iran). Il a contacté plusieurs passeurs qui lui ont conseillé d'attendre la fin de l'hiver. Résigné, il sait qu'une fois là-bas, il se heurtera à l'hostilité de ses frères. « Ils sont furieux. Ils m'avaient dit de ne pas partir. » Surtout, les frères de Waheed lui reprochent d'avoir gaspillé de l'argent.
Au total, durant ses trois ans d'exil en Europe, Waheed a dépensé 18 000 euros. Il a gagné de l'argent lorsqu'il a travaillé deux ans en Crète, comme journalier sur des chantiers de construction. Mais il doit encore rembourser près de 5 000 dollars, empruntés à sa famille et à des amis pour financer le voyage à travers l'Iran et la Turquie. « Il me faudra au moins cinq ou six ans », soupire Waheed.
Le jeune Afghan ne compte plus s'exiler en France. « Je ne peux pas payer le voyage. Et la dernière fois, j'ai perdu trois ans de ma vie. Je n'ai pas le choix, je resterai en Iran. » A Téhéran, Waheed espère travailler, comme ses frères, sur des chantiers. Mais il restera un clandestin. Expulsable à tout moment, comme en France.