De notre correspondante à La Haye
En visite à Beyrouth quelques jours avant l’anniversaire de la mort de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, le 14 février 2005, le président du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a tenté de rassurer. Pour Antonio Cassese, les procès de terrorisme sont compliqués : « Il n’y a pas de chaîne de commandement, de hiérarchie. La plupart du temps, les membres de groupes terroristes ne sont pas prêts à passer aux aveux car ils risquent d’être tués par leurs compagnons » affirmait-il. Ouverte il y a cinq ans, suite à l’attentat à la voiture piégée perpétré à Beyrouth et dans lequel l’ancien Premier ministre Rafic Hariri avait trouvé la mort aux côtés de 22 autres victimes, l’enquête avance lentement. Mais à ce jour, aucun acte d’accusation n’a été délivré. Et depuis sa création en juin 2007, par un accord entre le gouvernement libanais et les Nations unies suscité par la France et les Etats-Unis, le Tribunal inspire les suspicions.
Démissions en cascade
A ce jour, la partie visible de ses travaux se résume à une succession de réformes juridiques et de démissions. Depuis un an, plusieurs hauts responsables ont quitté le tribunal. L’américain David Tolbert, greffier du tribunal, est resté six mois en poste, après le départ de son prédécesseur le Britannique Robin Vincent, qui avait mis en place le tribunal et décroché le premier budget de 56 millions de dollars (financé à 49% par le Liban). Un juge avait ensuite rejoint le tribunal pour l’ex-Yougoslavie et en janvier, le chef des enquêtes, Nick Kaldas, annonçait à son tour son départ. Les Nations unies ont bien tenté de rassurer, par des communiqués dithyrambiques, mais le doute sur l’issue de l’enquête reste présent. La libération, en avril 2009, de quatre officiers supérieurs considérés comme pro-syriens et incarcérés à la demande de la commission d’enquête, avait aussi suscité la déception dans les rangs de la majorité du 14 Mars, coalition anti-syrienne établie après la mort de l’ex-Premier ministre. Visée par les premières conclusions publiques de l’enquête, effectuée conjointement par la police libanaise et les enquêteurs internationaux, la Syrie avait, elle, salué la décision, y voyant une preuve de la politisation du tribunal.
Absence de preuves solides
Mais ces libérations résultaient surtout des faiblesses enregistrées lors des premiers pas de l’enquête. Ainsi, l’un des témoins clés dont les déclarations avaient conduit à l’incarcération des officiers, Mohammed Zouheïr al-Siddiq, aurait fait de fausses dépositions. Néanmoins, le procureur, Daniel Bellemare, n’a jamais engagé de poursuites contre lui laissant impunies les éventuelles tentatives de manipulations de l’enquête. Malgré les difficultés, l’enquête avance, affirme-t-on. A quelques semaines des élections législatives au Liban, en juin 2009, le quotidien allemand Der Spiegel pointait la responsabilité du Hezbollah dans l’attentat. Selon plusieurs sources, l’essentiel des informations publiées par le quotidien allemand seraient crédibles. Néanmoins, les enquêteurs butent sur l’absence de moyens pour avancer jusqu’aux commanditaires et surtout, disposer de preuves solides, susceptibles d’être admises dans un procès international.
Des procès par défaut
Au printemps 2009, Antonio Cassese avait tenté de convaincre les Etats de la région, et ceux sur le territoire desquels réside une part importante de la diaspora comme la France et les Etats-Unis, de signer des accords de coopération. A ce jour, il n’a récolté que des déclarations de principe. Or pour pouvoir fonctionner, le tribunal doit pouvoir récolter des preuves, protéger les témoins et procéder aux arrestations. Sans force de police, il doit compter sur la coopération des Etats. Les options qui se dessinent ne sont guères encourageantes. Certains estiment que le tribunal pourrait fermer ses portes sans délivrer d’actes d’accusation ou être contraint de tenir des procès par défaut si les accusés ne peuvent être arrêtés, voire s’ils ne « souhaitent » pas se rendre à La Haye. Outre l’affaire Hariri, le procureur est aussi compétent pour poursuivre les responsables d’autres attentats commis depuis le 1er octobre 2004, s’il peut démontrer qu’il existe des liens entre tous ces faits. A ce jour, il n’a soumis aucune demande aux juges, mais les enquêteurs continuent cependant de travailler, aux côtés de la police libanaise, sur une vingtaine d’événements qui avaient notamment visé un grand nombre de députés libanais.