La neige qui couvre tout, le froid sévère et les sirènes assourdissantes, bouleversantes, les mêmes qui, entre 1940 et 1945, avertissaient des évasions – voilà le décor du début des célébrations sur le site du camp Auschwitz-Birkenau, libéré par l’armée soviétique il y a 65 ans, le 27 janvier 1945.
Un honneur particulier a été rendu aux anciens détenus (qui protestent souvent contre l’utilisation du terme « prisonniers » à leur égard). Ce sont eux qui ont pris la parole les premiers, le plus longuement et de façon la plus émouvante. Marian Turski, éminent historien et journaliste juif polonais, enregistré à Auschwitz sous le numéro B-9408, a raconté ses rencontres avec les jeunes qui voulaient savoir le plus souvent qu’est-ce qui était le pire à supporter dans le camp et qu’est-ce que cette expérience lui avait apporté. Alors, le pire, ce n’était ni la faim, ni les conditions d’hébergement, ni le froid, ni les poux.
Le pire, c’était l’humiliation. C’était d’être traité comme un insecte, comme un cafard digne seulement d’être écrasé. Cette expérience lui a appris surtout l’empathie, cette capacité de comprendre les autres et de savoir s’imaginer à leur place. « Si à l’époque il y avait davantage d’empathie pour les Juifs dans le monde – expliquait Marian Turski – certes, on n’arrêterait pas l’Holocauste, mais ses dimensions seraient beaucoup moins importantes ».
Le monde savait
Ce manque d’empathie a eu de conséquences terribles. Tous les orateurs polonais – à commencer par l’ancien ministre des Affaires étrangères Wladyslaw Bartoszewski, détenu à Auschwitz sous le numéro 4427 – soulignaient l’énorme solitude dans laquelle souffraient et mouraient les victimes des bourreaux nazis. Car le monde savait, mais ne réagissait pas comme il fallait. Selon Bartoszewski, les Alliés était informés par la Résistance polonaise en détail de ce qui se passait depuis au moins 1942, mais ils n’ont pas bombardé les chambres à gaz et les fours crématoires. « Pourquoi le monde s’est tu et n’a rien fait ? » - a demandé le Premier ministre polonais Donald Tusk, probablement sans grand espoir d’obtenir une réponse.
Pour décrire les crimes commis à Auschwitz, le président Lech Kaczynski a parlé d’une « folie basée sur une haine maladive ». Il a rappelé que – bien qu’il y ait eu des détenus tués parce qu’ils étaient Polonais, Ukrainiens ou Russes – les Juifs étaient exterminés car un arrêt de mort a été prononcé contre toute leur nation, ce qui n’était pas le cas pour les autres victimes. Il a également rappelé que cet abominable crime a été méthodiquement organisé par un Etat. « Celui qui a la force, n’a pas toujours raison », a-t-il conclu.
Messages politiques
Le chef du gouvernement israélien, Benyamin Netanyahu, a commencé son discours en anglais, en appelant tous les invités réunis dans une tente chauffée à se souvenir de ceux qui, au même endroit, ont été tués par le froid, le gaz, la faim, le feu… Il a également rendu hommage à tous ceux qui, en risquant leur propre vie et celle de leurs enfants, sauvaient les Juifs de la Shoah. « Un tiers parmi eux, c’étaient des Polonais », a-t-il rappelé. En passant ensuite à l’hébreu, il n’a pas hésité à délivrer un message politique. En évoquant l’Etat israélien fort et son armée puissante, il les a présentés comme « la seule méthode de défense » du peuple juif. Il a pris l’engagement, en tant que Premier ministre, de ne jamais permettre que « des mauvaises mains étranglent de nouveau notre nation ».
Benyamin Netanyahu a été suivi par le ministre russe de l’Education Andreï Foursenko qui a lu un message du président Dmitri Medvedev. Message en partie politique, lui aussi. Il contenait un avertissement adressé à tous ceux qui seraient tentés de « mettre sur un même plan les victimes et les bourreaux, les libérateurs et les occupants ». Allusion claire à ceux qui, notamment en Pologne, réclament des comptes à la Russie pour l’alliance de l’URSS avec l’Allemagne nazie au début de la guerre, pour les crimes staliniens commis lors de cette même guerre et pour l’asservissement de toute l’Europe centrale et orientale après celle-ci.
Les cérémonies se sont achevées sur la prière juive pour les morts, le kaddish, récité par Israël Meir Lau, le grand rabbin de Tel Aviv né en Pologne et orphelin survivant des camps nazis.