La date du scrutin n’est pas encore fixée, mais la junte est en train de finaliser le projet. Il ne reste plus qu’à faire adopter la loi électorale, permettant la tenue des élections générales, les premières depuis 1990. Il y a vingt ans, la Ligue nationale pour la démocratie l’avait emporté avec plus de 80 % des suffrages, malgré l’arrestation préalable des principaux leaders de l’opposition, dont Aung San Suu Kyi, fille du père de l’indépendance. Jamais les députés élus en 1990 n’ont été autorisés à siéger. La junte, prise de court, a simplement confisqué cette victoire de l’opposition et pratiqué, depuis, une traque sans merci de tous les membres de l’opposition, élus et simples militants, étudiants et groupes ethniques compris.
La « feuille de route », itinéraire incontournable
À Naypyidaw, la nouvelle capitale transformée en bunker, située à quatre cents kilomètres au nord de Rangoon, les généraux birmans ont organisé ce lundi 4 janvier 2010 une parade militaire et convoqué un millier de ministres et fonctionnaires pour assister au discours du généralissime. Au milieu de son allocution, Than Shwe rappelle le processus engagé en 2003 à l’instigation de l’ancien chef des renseignements militaires arrêté en 2005, et condamné depuis, à quarante-quatre ans de résidence surveillée pour corruption. Sa « feuille de route » y est présentée comme « l’unique processus de transition vers la démocratie » en vue de parvenir à « l’émergence d’une nation pacifique moderne et développée ».
Than Shwe exige notamment du peuple tout entier qu’il fasse de « bons choix », en vue d’aboutir à ce que le régime dénomme une « démocratie disciplinée ». De quelle latitude les électeurs birmans disposeront-ils en effet pour se déterminer ? De nombreuses interrogations demeurent quant à l’organisation du scrutin, à commencer par la liste des partis autorisés à présenter des candidats, sachant que les prisons et camps de travail du pays détiennent environ deux mille prisonniers politiques, selon les estimations des organisations internationales de défense des droits de l’homme.
L’injonction du général Than Shwe semble viser ceux qui seraient tentés par une autre stratégie d’opposition, telle la Ligue nationale pour la démocratie qui a jusque-là conditionné sa participation au vote à la libération des prisonniers politiques, et menace d’appeler au boycott.
L’incantation à l’unité nationale
La cohésion nationale, entre ethnie bama et groupes ethniques des confins du pays, semble également au cœur des préoccupations de la junte. Le message officiel de ce jour anniversaire est truffé d’appels à la solidarité nationale, contre la désintégration de la nation birmane. Depuis un an, dans la perspective des élections, les autorités de Naypyidaw ont tenté de pousser les différents groupes ethniques, avec lesquels des accords de cessez-le-feu ont été conclus depuis la fin des années 80, à se soumettre à un programme d’intégration de leurs milices armées au sein d’un corps de gardes-frontières, sous le contrôle de Tatmadaw, l’armée nationale. À l’exception de trois groupes minoritaires, les ethnies ont refusé cette proposition. Ce refus a provoqué de sérieux affrontements au mois d’août 2009, à la frontière avec la Chine, entre l’armée de l’ethnie kokang et l’armée birmane. L’échéance passée de la fin décembre 2009 n’ayant pas permis à la junte d’obtenir l’assentiment d’autres groupes, tels que les milices Wa (United Wa State Army), kachin, et shan, l’instabilité menace dans les territoires qu’ils contrôlent.
Les phobies de Than Shwe
Soucieux de préserver le statu quo obtenu avec les principaux groupes ethniques du pays, Than Shwe l’est aussi de préserver son propre avenir. Qu’il se maintienne au pouvoir dans les habits neufs de président, ou qu’il quitte le devant de la scène, tout indique que le numéro un actuel fera tout pour se prémunir d’éventuelles poursuites en justice. D’ores et déjà, la nouvelle Constitution prévoit l’impunité pour les anciens tenants du régime, qu’ils aient appartenu au gouvernement actuel dans le cadre du SPDC (Conseil d’Etat pour la paix et le développement) ou son prédécesseur, le SLORC (Conseil d’Etat pour la restauration de la loi et de l’ordre). Dans un chapitre intitulé « Dispositions spéciales pour la transition » (Transitory Provisions), au paragraphe 445 de la Constitution de 2008, il est clairement indiqué que le personnel de ces institutions échappera à toute poursuite judiciaire.
Than Shwe est en effet bien placé pour connaître le sort réservé jusque-là aux anciens généraux, qu’il s’agisse de Kyin Nyiunt, le précédent Premier ministre, désormais écarté de la politique ou de Ne Win, l’auteur du coup d’Etat de 1962, mort en résidence surveillée en 2002, sans oublier toute une clique d’anciens généraux passés par la prison d’Insein.
Si Than Shwe devait prendre sa retraite à l’issue du scrutin, son fils pourrait prendre la relève. Les experts observent également d’importantes luttes d’influence au sein même de l’armée, et des divergences notamment à propos de la meilleure façon de traiter avec le voisin chinois.