Avec notre correspondant régional, Frédéric Farine
Albina, ville située à 150 km environ de la capitale du Suriname, Paramaribo, est une base arrière de l’orpaillage clandestin de la Guyane française. « Son activité économique principale est le soutien logistique aux orpailleurs qui y transitent » confie un officier de gendarmerie de Saint-Laurent du Maroni, la ville guyanaise séparée d’Albina par le fleuve Maroni.
On trouve à Albina des succursales de grands magasins de Paramaribo, gérées par des Chinois. Elles vendent des produits importés du Brésil et tout le matériel nécessaire aux chercheurs d’or de la forêt guyanaise. Des Surinamiens d’Albina transportent en pirogue, sur les fleuves de Guyane, des chercheurs d’or et leur logistique. Enfin, à Albina, l’orpailleur brésilien vient vendre son or, avec lequel il peut aussi payer des commerçants.
Des pompiers tardivement sollicités
C’est un meurtre qui, le soir du 24 décembre, aurait mis le feu aux poudres. Le crime aurait été précédé d’un vol, selon certains Brésiliens. « La justice du Suriname tranchera, parce que les communautés s’accusent mutuellement. Au départ, il y aurait eu une dispute autour d’une transaction » déclare, prudente, le consul du Brésil en Guyane, Ana Beltrame. L’auteur du crime serait un orpailleur brésilien ; la victime, surinamienne, un Bushinengué, c'est-à-dire un descendant de Noirs marrons (ou Marrons), ces esclaves africains échappés des plantations de l’ex-Guyane Hollandaise au 18ème siècle et établis sur les deux rives du Maroni.
Le 24 décembre, dans la soirée, l’habitant d’Albina poignardé, était évacué aux urgences de l’hôpital de Saint-Laurent du Maroni où il décède. En réaction à l’agression, une expédition punitive menée par des « Marrons » investit deux quartiers d’Albina, fréquentés par des Brésiliens. Des témoins font état d’agressions à la machette. Les agresseurs sont plusieurs centaines. Des magasins où s’approvisionnent les chercheurs d’or sont pillés et incendiés. Deux stations services qui ravitaillent en carburant (via des tuyaux déployés) les fûts des pirogues d’orpailleurs sur la rive, subissent le même sort. Parmi les cibles figurent aussi un hôtel de passe où transitent des orpailleurs et exercent des prostituées ainsi que des habitations de fortune où des Brésiliens dormaient en hamac.
« Albina n’a aucun service de secours. Or les pompiers français de Saint-Laurent n’ont été appelés en renfort par le Surinam qu’à 3 heures du matin, le 25 décembre, alors que la ville flambait depuis 22 heures 30 » s’étonne une autorité française. Le matin de Noël, un ressortissant du Guyana est, à son tour mortellement blessé, à l’arme blanche. Il décède à son arrivée à 7 heures 20 au débarcadère de Saint-Laurent.
Le Brésil compte ses disparus
Y’a-t-il eu des Brésiliens tués à Albina ? Mardi 29 décembre après-midi, au consulat du Brésil à Cayenne, on affirmait toujours qu’ « aucun cadavre brésilien » n’avait, pour l’heure, été retrouvé après cette nuit d’émeutes. « En revanche, des gens affirment que des personnes ont été tuées cette nuit-là. Des témoins disent aussi que des Brésiliens se seraient volontairement jetés dans le Maroni (fleuve frontière) pour fuir leurs agresseurs. Il est possible que des personnes aient été emportées par le courant » estime Ana Beltrame. On parle de « disparitions » de Brésiliens. «Les témoignages fluctuent beaucoup et oscillent entre 7 et 40 Brésiliens disparus. Il peut s’agir aussi de personnes qui se sont cachées dans la forêt pour échapper aux violences. Nous essayons d’établir un bilan précis du nombre de disparus » poursuit le consul du Brésil.
Y-a-t-il eu des viols ?
Vendredi 25 décembre, selon le correspondant de l’AFP à Paramaribo, au cours d’un point presse, le ministre de la Justice du Surinam avait déclaré qu’une vingtaine de femmes s’étaient plaintes de viols à Albina durant la nuit de Noël. Il s’agirait notamment de compagnes de ressortissants brésiliens et de prostituées. Mardi 29 décembre, le consul du Brésil à Cayenne, en contact quotidien avec son homologue du Surinam, préférait rester prudente : « On parle de viols, mais ce n’est pas confirmé, notamment sur le plan médical, On n’a pas de femmes qui se seraient présentées dans des hôpitaux pour faire des examens en rapport avec des violences sexuelles » indique Ana Beltrame, avant d’ajouter : « les orpailleurs reçoivent des dollars du Surinam en échange de leur or. Ils mettent cet argent sous leurs vêtements. Et leurs femmes aussi. Elles gardent leur argent dans leurs soutiens-gorges. C’est là que les Marrons sont allés chercher. Cela a donné l’impression d’un assaut sexuel. Le but c’était plutôt l’argent. Pas le viol ».
Lundi, interrogé par une radio néerlandaise, un responsable de la police du Surinam déclarait, lui, que des femmes avaient reconnu leurs agresseurs. Le même jour, 35 personnes suspectées d’avoir participé aux émeutes avaient été arrêtées selon les autorités du Surinam qui faisaient état d’au moins 25 blessés et d’environ 80 Brésiliens agressés.
« La plupart des Brésiliens aimeraient retourner à Albina »
Dimanche 27 décembre, le consul du Brésil à Cayenne s’est rendue à l’hôpital de Saint-Laurent où neuf blessés brésiliens ont été pris en charge. « Sept blessés légers avaient déjà quitté l’hôpital. Ne restait qu’un homme souffrant de fortes douleurs aux jambes et d’une fracture de la clavicule. Il a été opéré lundi. Et une femme qui a déclaré, avoir perdu beaucoup de sang et son bébé suite aux évènements, alors qu’elle estimait être enceinte de 3 mois. Mais il n’y a pas d’expertise médicale pour le confirmer » tempère encore Ana Beltrame. Dimanche à Saint-Laurent, des policiers surinamiens sont venus à l’hôpital pour les besoins de l’enquête. Environ 130 Brésiliens et une dizaine de Chinois ont été évacués d’Albina vers Paramaribo, par l’armée du Surinam, suite aux émeutes.
Dimanche, un avion militaire brésilien y est allé chercher des ressortissants mais seuls huit Brésiliens ont pris place à bord. Parmi eux, Fernando Lima. Une estafilade au cou, il a témoigné devant la presse de son pays avoir été attaqué à la machette, la nuit de Noël avant de se cacher dans l’eau.
Mais la fièvre de l’or restera-t-elle la plus forte? Pour la plupart, en situation irrégulière au Surinam, une grande partie des Brésiliens évacués à Paramaribo « aimeraient bien rentrer à Albina, si la situation se calme. Certains y vivent depuis des années » admet Ana Beltrame.