Camus version fiction : la tentation du silence

Parmi les ouvrages parus à l’occasion du cinquantenaire de la mort de l’écrivain, un roman qui raconte Les derniers jours de la vie d’Albert Camus (Actes Sud). Signé José Lenzini, un familier de l’auteur des Justes auquel il a déjà consacré trois ouvrages, ce court livre se glisse dans l’intimité d’un homme en proie aux doutes et aux interrogations, volontiers austère et tragique. 

« La route défilait dans le sens inverse de ses souvenirs », peut-on lire page 109. Tout le roman est bâti autour de cette introspection que favorise généralement tout déplacement, plus encore quand le « voyageur » est transporté, conduit comme c’est le cas en ce début janvier 1960 quand Albert Camus prend place, à cause de ses longues jambes, à côté de Michel Gallimard, le propriétaire et conducteur de la Facel Vega dans laquelle il se laisse convaincre de monter pour rejoindre la capitale, laissant sa femme et ses deux enfants prendre le train sans lui. 

Le silence maternel

A la façon des Choses de la vie de Sautet (le livre se lit d’ailleurs comme un scénario), c’est avec l’annonce de la mort de Camus que commence le roman. L’annonce faite à une mère qui, faute de maîtriser le verbe (elle est quasi muette et analphabète), n’aura que ces trois mots : « C’est trop jeune ». Et José Lenzini d’écrire, « Le regard de la vieille femme s’était porté naturellement sur la photo posée sur l’étagère ». De fait, la mère de Camus n’a jamais voulu quitter l’Algérie, en dépit des attentats et de l’insistance de son fils qui ne désespérait pas de la « rapatrier ». Il y a donc la mort pour ouvrir le livre, mais il y a surtout la mère et, à travers elle, ce silence qui a de tout temps douloureusement accompagné l’auteur de L’Etranger. Et que d’aucuns à l’instar d’un Roland Barthes ont voulu voir dans cette « écriture blanche », dans cet art de la litote qui caractérisent l’œuvre de Camus.
 

Mais le silence, c’est aussi celui des opprimés, des taiseux dont l’écrivain et Prix Nobel se sera toujours voulu le porte-voix. C’est pour sa mère, celle dont il savait pertinemment qu’elle ne le lirait jamais, qu’il a en quelque sorte toujours écrit. C’est enfin ce silence dont il semble éprouver, à son tour, la nécessité en cette période de doutes et d’impuissance. Durant les trois derniers jours de son existence que nous conte José Lenzini, celui-ci décrit un homme « qui se demande s’il pourra retrouver la parole, les mots, et s’il ne va pas carrément abandonner la littérature ». Et de rappeler que « Camus est un homme qui ne cesse de se remettre en question, et cette mise en abîme invite au silence, à l’introspection, au calme. Le miroir est un silence ».

L'Algérie, son pays

En outre, la postface du livre qui peigne en quelques pages l’histoire publique, véridique et authentique cette fois, de Camus ne manque pas de revenir sur les attaques dont il avait fait l’objet depuis la parution de L’Homme révolté en 1951 jusqu’à l’obtention du Prix Nobel de Littérature, six ans plus tard, de la part de la bande à Sartre et même de celle de son ancien ami, Pascal Pia. « Les misères de la vie enseignent l’art du silence », lit-on en exergue au roman sous la plume de Sénèque.   

La figure de la mère,  c’est encore l’Algérie… Ce pays natal vers lequel il se retourne sans cesse « à quelque moment que ce soit de sa vie », rappelle José Lenzini citant L’envers et l’endroit, L’Etranger, La Peste sans oublier Le Premier Homme dont on retrouvera le manuscrit inachevé à quelques mètres de la carcasse de la Facel Vega. Et il ne s’agit là que de romans, encore faudrait-il évoquer les articles et reportages effectués par le natif de Mondovi sur place. Et chaque épisode de sa vie à Lourmarin, juste avant le départ, devient prétexte à se projeter dans le passé. En se rendant sur le terrain de football de la commune du Vaucluse pour encourager les benjamins (dont il a payé les maillots), Camus se revoit minot, cachant à sa grand-mère - aussi roide qu’un caporal d’armée - qu’il tape dans une boite en fer avec ses copains au risque d’user trop vite la paire de godillots qui a coûté si cher.

Pour donner crédibilité et vraisemblance à ce retour vers Paris, José Lenzini explique avoir épluché les programmes radiophoniques de ces deux journées des 3 et 4 janvier pour nous faire entendre cette fin des années 1950. Pareillement, il a souhaité truffé les échanges, les réflexions de Camus de citations de l’écrivain. Non pas tant pour « faire vrai » que pour rendre hommage à la langue du Prix Nobel et « donner ainsi envie de le lire, ou de le relire ».

L'intuition d'une fin proche
 

Autant de partis-pris qui nous donneraient presque la sensation de marcher puis de rouler aux côtés d’Albert Camus. Une empathie que l’on doit en grande partie à la simplicité du « personnage principal », un écrivain accorte, accessible, souriant, prévenant, très proche finalement  sans jamais une once d’obséquiosité. « Comme il n’avait pas la télévision chez lui, quand il y avait une émission qui lui était consacrée, il se rendait au bar du village pour la regarder avec tout le monde », raconte José Lenzini. Pour autant, tout dans ce récit de ces dernières heures indique une fin imminente, au-delà même du fait que l’on connaisse la fin de l’histoire. En revenant sans cesse à sa mère, à son pays natal, il dresse comme un bilan. « En écrivant ce livre, j’ai eu la sensation qu’il avait le pressentiment de sa fin », reprend l’auteur qui a voulu redonner à cet homme « sa grandeur mais aussi sa douleur ». De fait, Camus y apparait sous les traits d'un homme mélancolique et sombre, vulnérable et presque austère. 

Quoi qu’il en soit, reprend notre interlocuteur, « il mérite de sortir de son purgatoire. On a bien fait de Sartre, un génie ! ». Car Les Derniers jours de la vie d’Albert Camus, c’est aussi cela, et peut-être même avant tout, une déclaration d’amitié et d’estime à un écrivain qui « sentait un grand silence en lui ».  

 
Les Derniers jours de la vie d'Albert Camus, de José Lenzini chez Actes Sud

 

 

 

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