Elle a trouvé sa place dans les rayons des magasins de disques, alimente les pages des magazines ou sites Internet spécialisés. Elle est à l’affiche de festivals toujours plus nombreux, preuve de l’intérêt croissant qu’elle suscite hors de son continent natal. On lui a même consacré deux jours de débat et d’ateliers en septembre dernier, à l’occasion d’états généraux qui ont réuni à Paris des acteurs de toute la filière qu’elle fait vivre. Aujourd’hui, la musique africaine fait indubitablement partie du paysage artistique international.
Si elle a gagné en visibilité, les chiffres obligent tout de même à relativiser la performance : les musiques du monde, dont elle ne constitue qu’un sous-ensemble, ne représentaient en novembre 2009 que 4,9 % du nombre de CD audio vendus en France, selon le baromètre mensuel établi par l’Observatoire de la musique. Moins que les catégories jazz/blues et classique. Sur ce marché considéré comme l’un des plus porteurs en Occident pour les artistes d’Afrique, seuls les nouveaux albums d’Amadou & Mariam et Magic System se sont écoulés en 2008 à plus de 30 000 exemplaires, devançant ceux de Tiken Jah Fakoly et Rokia Traoré. Très loin de la barre des 500 000 franchie par les vedettes françaises telles que Francis Cabrel ou Christophe Maé !
Sortir de l’exotisme
En un demi-siècle, la musique africaine a d’abord tenté de s’affranchir de cette vision folklorique quasi doudouiste à travers laquelle elle était souvent perçue durant la période coloniale.
Avec la rumba et son industrie phonographique pionnière, les deux Congos jouent un rôle moteur dans la zone subsaharienne, avant et après les indépendances. Pendant les premières années d’existence de ces jeunes États, beaucoup de musiciens cherchent leur voie, attirés d’un côté par ce qui vient de l’extérieur comme le jazz ou la variété occidentale, et animés de l’autre par la volonté de se démarquer en puisant dans les fondements de leur propre identité. Cette phase-là s’achève en 1972 avec le succès de Soul Makossa, qui ouvre une nouvelle ère et révèle un personnage-clé : le saxophoniste camerounais Manu Dibango, au cœur de l’évolution de la musique africaine à tel point qu’il en est devenu le symbole, l’incarnation.
L’arme du futur ?
Longtemps réservée aux griots en Afrique de l’Ouest, l’accès à la musique s’est démocratisé. Ne raconte-t-on pas qu’à ses débuts au sein du Rail Band, le Malien Salif Keita se cachait le visage car son rang social était incompatible avec le statut de chanteur ? Entre le griot et son maître, le lien s’est en réalité simplement déplacé, voire institutionnalisé.
En Guinée, après l’indépendance, la musique sert d’instrument politique pour consolider le sentiment national : les orchestres sont financés par l’argent public, leurs disques paraissent sur le label d’État Sylliphone. Lorsque la Sud-africaine Miriam Makeba rencontre des difficultés dans son exil américain, le président Sékou Touré l’invite à s’installer à Conakry pour poursuivre sa carrière d’artiste et sa lutte contre l’apartheid. L’interprète dePata Pata demeure, pour des générations de chanteuses, une incontournable référence.
Le Nigérian Fela a lui aussi marqué les esprits, en Afrique et au-delà, à la fois par son style afrobeat qui fait écho au funk occidental mais aussi par le sentiment de révolte qui l’habite. Une autre musique contestataire connait un véritable essor dans cette seconde partie des années 70 où les anciennes colonies tentent d’instaurer un nouvel ordre économique international : bien qu’il soit jamaïcain, le reggae contribue à changer la donne en démontrant qu’un rythme du tiers monde peut obtenir un succès planétaire. Et sa star, Bob Marley, a mis l’Afrique au cœur de ses préoccupations, comme le souligne en 1979 la pochette de son album Survival.
La fin des frontières
Sous la bannière du reggae africain, Lucky Dube et Alpha Blondy ont pris le relais. Tous deux ont franchi une étape supplémentaire dans la rupture avec les genres traditionnels. Le Sud-africain a même abandonné le mbaqanga qui l’avait rendu populaire dans son pays. Un de ses compatriotes blancs, Johnny Clegg, bouscule les clichés avec son répertoire aux couleurs zoulou. Les frontières sont plus perméables, l’heure est aux fusions et aux rencontres transculturelles.
La carte géographique de la musique africaine n’est pas épargnée par les mutations. Paris est devenue sa capitale extraterritoriale. Un grand nombre de musiciens du continent, à la recherche de nouvelles opportunités, y ont posé leurs bagages ou tentent de s’y faire remarquer. Une nouvelle rampe de lancement dont bénéficieront Touré Kunda, Khaled, ou encore Cesaria Evora et Youssou N’Dour, deux artistes perçus comme les ambassadeurs de l’Afrique dans le monde entier. A sa façon, la mondialisation permet des retrouvailles entre des musiques cousines séparées par l’histoire.
Sur les bords du fleuve Niger ou dans les champs de coton de l’autre coté de l’Atlantique, les jeux se ressemblent, rappelle le duo formé par le bluesman américain Taj Mahal et son homologue malien Ali Farka Touré. Tout récemment, l’association du père de l’ethio-jazz, Mulatu Astatké, avec les jeunes anglais d’Heliocentrics a découvert de nouveaux horizons prometteurs. Plus que par sa dimension patrimoniale, c’est par sa richesse créatrice que la musique africaine continuera de conquérir de nouveaux territoires.