Victor Hugo plein cadre !

De profil, de face, de trois quart… L’auteur des Misérables fut un modèle docile (consentant, même) pour les photographes et ses proches. Illustration à la maison de Victor Hugo à Paris qui présente une exposition baptisée Portraits d’une collection/Une collection de portraits. Soit un choix de 200 clichés sortis des collections permanentes à voir jusqu’au 31 janvier.

Pas moyen de ne pas le voir. A peine a-t-on franchi le seuil de la première salle d’exposition que la figure de Victor Hugo (1802-1885) se duplique sur tout un pan de mur. Rien moins que cinq exemplaires, petits formats, de l’exilé fraîchement débarqué à Jersey sur ordre du « Petit Napoléon », alias Napoléon III. Nous sommes en 1852 et pas question pour le proscrit de moisir sur ce bout de terre britannique. « C’est à Jersey qu’il s’empare de ce médium. Il se retrouve dans des conditions difficiles et la photographie va servir son besoin de communication vis-à-vis du continent », commente Alexandrine Achille, la commissaire de l’exposition. « S’emparer », le terme n’est pas trop fort car Hugo - et tout son parcours durant ses vingt ans d’exil dans les îles anglo-normandes le prouve quels que soient ses engagements - n’est pas homme à demeurer passif. 

« Victus sed victor »
 

Parce qu’il faut bien occuper ses fils, gendres et amis de passage, il installe dans sa maison un atelier de photographie et s’érige certes en modèle mais aussi et surtout en metteur en scène de son image. Tout l’enjeu de cette première partie de l’exposition qui nous montre le poète « ou dans l’attitude du rebelle, la main dans le gilet, ou dans celle très connue du penseur au sommet du rocher, regardant la France au loin, une main dans les cheveux ». Victus sed victor (« Vaincu mais victorieux ») peut-on lire au bas d’une image faite en 1854 par Auguste Vacquerie, un de ceux avec Edmond Bacot - un ancien élève de Gustave Le Gray - qui l’immortaliseront le plus dans ces années 1850. On ne peut s’empêcher de sourire d’ailleurs en découvrant dans la même salle une photographie représentant Vacquerie himself, assis non plus au sommet mais au pied du rocher des proscrits, et à ce titre presque englouti par la matière minérale, fondu en elle en quelque sorte. Un contre-point qui en dit long sur la « hauteur » de l’ancien député, au propre comme au figuré.

C’est également à cette époque que Victor Hugo expérimente une démarche « éditoriale » qui consiste, fait assez rare pour l’époque, à agrémenter ses articles ou ses recueils de photographies à l’instar des Contemplations écrit en mémoire de Léopoldine, sa fille bien-aimée morte noyée. En mettant une image de son épouse, le poète suscite forcément l'empathie des lecteurs. Les trois années passées à Jersey sont de ce point de vue les plus créatrices, les plus stimulantes. Car au fil du temps, « son image finira par lui échapper ». Et c’est d’ailleurs autour de ce constat que s’articule l’exposition : que de distance en effet entre le Victor Hugo prenant la pose dans une attitude volontairement théâtrale, hyperboliquement frondeuse et le patriarche des dernières années de sa vie, détaché et lointain, profondément affecté par les deuils et les drames qui ont à nouveau frappé sa famille à partir de la fin des années 1860.

Reportages à Hauteville House

Il est fascinant d’ailleurs de voir la métamorphose de l’écrivain, au fil de ce parcours à la fois géographique et photographique. C’est à Guernesey où le clan Hugo arrive en 1855 que Victor Hugo se laissera pousser la barbe et verra ses cheveux raccourcir et se blanchir. Rappelons qu’il a cinquante trois ans quand il rejoint Guernesey et soixante huit ans quand il la quitte en 1870 pour rentrer, triomphalement, en France. Et si l’auteur à succès a changé, c’est à tous les niveaux : « Il arbore une attitude beaucoup plus solennelle sur les photos », observe la commissaire même si l’on retrouve encore des poses (ainsi ce cliché où on le voit à califourchon sur une chaise, prêt à en découdre) typiques de Jersey. Mais occupé par l’aménagement de la maison qu’il a achetée, concentré sur son œuvre qu'il va pour l'essentiel écrire durant cet exil, il délaisse quelque peu la photographie. C’est le temps des albums et surtout des reportages à Hauteville House. C’est avec Hugo que Bacot signe en 1862, année du succès des Misérables, son premier reportage sur un écrivain « dans son environnement, dans son intimité ».

Nadar et la postérité

De retour en France, c’est au tour de deux grands portraitistes (et républicains, ce qui ne gâte rien), Nadar et Etienne Carjat, de solliciter celui dont les pièces de théâtre font l’actualité culturelle de la capitale. Ce que montrent les nombreux clichés d’acteurs et d’actrices de la trempe d’une Sarah Bernhardt, d’une Alice Lody ou encore de Monnet-Sully qui campera un Ruy-Blas mémorable. Souvenirs monnayables pour ces comédiens qui peuvent ainsi faire circuler leur image et plus avantageusement « se vendre ». 

Du temps a en effet passé depuis les premiers balbutiements de la photographie, ce qu'indiquent les documents évoquant le prix d’un cliché que Nadar propose à l’éditeur Daguerre. « La photographie et Victor Hugo sont chacun passés à une autre dimension », commente Alexandrine Achille. C’est l’avènement de la presse illustrée, voire people, avec une Juliette Drouet, jusqu’à la mort de l’épouse légitime en 1868 restée en dehors de toute représentation, qui se met non seulement à apparaitre mais à jouer également l’attachée de presse notamment auprès de Carjat.  

Dernier « flash » 

Quand Nadar immortalise Hugo en 1878, debout, un coude posé sur une pile de livres, c’est le génie littéraire et l’homme es qualités qui pose pour la postérité et qui le sait. « On devine de l’ironie dans le regard. Et en plus, il nous voit, il nous regarde », résume la commissaire de l’exposition. Et si de fait « la photographie a mythifié le personnage », son ultime portrait constitue une forme d'apogée. Victor Hugo vient de mourir, nous sommes le 22 mai 1885 et c'est à Nadar que revient l’insigne honneur de photographier une dernière fois le grand homme : sur un fond artificiellement noir (Nadar a tendu un drap sombre), se découpe le profil chenu de Victor Hugo, d’une sérénité et d’une plénitude que même la mort n'a pas réussi à altérer, déformer, abîmer. Ite missa est...

« Je vois de la lumière noire », auraient été les dernières paroles de l'écrivain, manière éblouissante de boucler une boucle entamée à Jersey où sur une photographie de l'un de ses proches, il avait écrit « fait en collaboration avec le soleil », attestant du rôle prépondérant de la lumière dans ce médium dont Hugo, sans jamais s'être intéressé à la technique, aura par ailleurs très vite compris le génial bénéfice et les formidables retombées qu'il pouvait en tirer pour sa postérité. Ce n'est pourtant pas le Hugo écrasant et conscient de son importance que l'on retiendra de cette incursion dans l'album photographique des trente dernières années de sa vie, mais l'image d'un vieillard souriant aux côtés de ses deux petits-enfants, visage parcouru de rides et petits yeux bridés et rieurs, le seul cliché sur lequel on le surprenne ainsi/aussi détendu voire détaché. C'était en 1884, soit un an avant sa mort et « l'urgence » est visiblement ailleurs que dans la maîtrise de son image.    
 

Portrait d'une collection/Une collection de portraits. Une exposition à visiter à la maison Victor Hugo à Paris jusqu'au 31 janvier 2010. 

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