L’Age d’or hollandais, de Rembrandt à Vermeer, devant une telle affiche difficile de ne pas se précipiter. Et c’est précisément ce qu'ont dû penser les 4 000 visiteurs qui (c’est une moyenne) se pressent chaque jour depuis l’ouverture de l’exposition, le 7 octobre dernier, derrière la Madeleine, là où se situe la Pinacothèque, ce qui a d'ailleurs obligé la direction à aménager de nouveaux horaires. 4 000 personnes qui doivent en effet se sentir à l’étroit dans ce lieu fait de couloirs et de salles basses de plafond, le genre d’espace peu propice à apprécier les œuvres présentées. Or celles qui nous entraînent dans L’Age d’or hollandais méritent de passer outre ces désagréments, du nombre et de l’inconfort.
Si Vermeer (1632-1675, un tableau) tient l’affiche aux côtés de son compatriote Rembrandt (1606-1669, six toiles), la Pinacothèque a en fait réuni, rassemblé tous ceux qui ont contribué à écrire l’une des plus belles pages de l’histoire de l’art, aidés les uns et les autres par l’avènement d’une société bourgeoise fondée sur le commerce avec ce que cela implique de fortunes nouvelles. Un enrichissement qui, par ricochet, contribuera à favoriser les arts car, nous explique l’exposition, cette société-là collectionne, et pas uniquement des portraits, symboles achevés de la réussite.
Les ateliers de peintres, davantage artisans qu’artistes, existent à foison et l’achat d’une peinture n’est pas réservé aux seuls riches. Quel que soit le niveau de vie, posséder une toile chez soi n’a rien d’extravagant, c’est même monnaie courante. Sans compter que l’extrême tolérance qui a toujours régné en Hollande et que Descartes - qui y trouve refuge en 1631 - louera abondamment permet une saine émulation et une grande liberté dans les motifs. C’est à cette époque, par exemple, qu’a été inventé le thème de la nature morte (aux fruits, châtaignes, verre de bière (sic), huîtres…) que reprendront les Impressionnistes deux siècles plus tard.
L’approche est donc à la fois historique et artistique : à travers quelque 300 dessins, gravures et tableaux, l’exposition décrit par le menu une société très entreprenante. La campagne, la ville (et ses ports), les citoyens, les ciels, la nature morte… tels sont certains des thèmes retenus pour aborder et reconstituer à la manière d’un puzzle ce XVIIe siècle hollandais. Avec en prime, en rang serré derrière les deux incontournables chefs de file que sont Vermeer et Rembrandt (les deux seuls à avoir touché à tous les genres), une cohorte d’artistes moins connus mais non moins intéressants et dont les œuvres, là encore, dessinent une époque jusque dans ses aspects les plus triviaux. Ainsi de cette Mère épouillant son enfant de Pieter de Hooch, une scène du quotidien derrière laquelle se lisent aussi sens du devoir et souci de la propreté.
Si le commerce maritime vers les contrées lointaines constituera une formidable source d’inspiration tant pour les peintres que pour les faïenciers (de Delft), ce sont devant les paysages d'un Jan van der Heyden (1637-1712) que l’on s’arrête longuement, admirant la belle lumière suave et parcimonieuse, loin de l’écrasant soleil de l’Italie qui est déjà à cette époque le passage obligé pour tous les peintres européens.
L’exposition nous précise que les artistes hollandais n’hésitaient pas à quitter leur atelier pour aller battre la campagne et dessiner d’après nature, et cela donc dès les années 1600. « Même dans les manuels, il était conseillé de faire deux à trois sorties annuelles pour saisir les beautés de la nature », lit-on. De ce point de vue, La Rivière en hiver d’Aert van der Neer (1603-1677) rend merveilleusement bien l’absence de relief de la Hollande surplombée de ciels immenses ainsi que la sensation de froid, avec ses tons glaçants de bleu et de gris et sa nature désolée, de ce moment particulièrement rude de l’année. On frissonne, tout bonnement.