(Première publication : 18 juin 2009).
Tout le long du trajet entre Bruxelles et Louvain-la-Neuve, on cherche de l’autre côté des vitres du train des indices, des signes, des marques qui, tels des cailloux, nous amèneraient à penser que Tryphon Tournesol et son pendule sont passés par là, par exemple. Il faudra se contenter de la campagne, celle-là même dont s’est inspiré Hergé pour habiller de vert les alentours du château de Moulinsart. De gares en tags, de cités résidentielles en vallons boisés, au terme d’un voyage de quarante minutes - auquel il convient encore d’ajouter un parcours fléché dans Louvain -, surgit littéralement l’énorme bâtiment blanc où le maître de la ligne claire a finalement jeté l’ancre. Au propre comme au figuré tant le musée s’apparente à une sorte de paquebot auquel on accède du reste par une passerelle en bois.
« Un voyage initiatique sur les pas d'Hergé »
Rendez vous est pris dans l’atrium à deux pas des caisses avec Laurent de Froberville, le directeur du musée. Description : « C’est un grand espace constitué de cinq bâtiments qui ont chacun une forme propre, un décor propre qu’il soit urbain, végétal ou maritime. On a l’impression d’entrer dans l’œuvre ». Et c’est de haut en bas que s’effectue la visite, du 3e étage qui s’ouvre sur un espace biographique - le seul d’un musée plutôt organisé en thématiques -, au 1er qui s’achève sur la reconnaissance internationale de l’ancien scout arrivé à la BD en ayant fait ses classes comme affichiste. Entre les deux niveaux, le visiteur aura traversé 8 salles (à la scénographie particulièrement réussie mais faute de pouvoir faire des photographies, « botus et mouche cousue » comme diraient les Dupondt), emprunté deux autres passerelles, le tout ayant été conçu comme « un voyage initiatique sur les pas d’Hergé », nous précise-t-on.
Comme dans une bulle
Gigantesque dehors, intimiste dedans : le musée réussit le tour de force, une fois dans les salles, d’établir un rapport de proximité avec les pièces exposées. Pour des raisons évidentes de conservation, l’éclairage est extrêmement modéré, tranchant ainsi avec la lumineuse transparence de l’entrée : on est tout simplement dans une bulle. Et quelle bulle car le contenu est à la hauteur de la notoriété de notre hôte, dense, riche et de toute beauté. « Hergé a énormément dessiné et a pratiquement tout conservé », témoigne Laurent de Froberville. En plus des presque 800 dessins présentés, 80 planches originales sont donc visibles et qui, pour des raisons de préservation, « seront renouvelées tous les quatre mois pour être remplacées par d’autres planches originales. Et l’importance du fonds Hergé est tel que les premières ne devraient pas revenir avant trois ans ».
De la réalité à la fiction...
Un ensemble rehaussé par l’approche retenue qui, de fait, nous plonge dans l’univers créatif d’Hergé dont on découvre une partie de ses fiches, livres et autres revues de vulgarisation (en tout plus de 20 000 documents) qui, dument répertoriés et classés (Afrique, Asie, animaux, voiture, masque, etc), ont servi à la conception des différents albums de Tintin. Ou l’on se rend compte que l’univers fictionnel d’Hergé, s’il s’inscrivait dans un contexte de découvertes, d’explorations et de conquêtes diverses et variées, s’inspirait ni plus ni moins de la réalité. Point d’orgue de ce travail de précision, la salle n°5 dite « salle-laboratoire » qui nous fait revivre la naissance d’Objectif Lune (1950) et de On a marché sur la lune (1954), deux albums d’anticipation tout sauf fantaisiste. Maquette de la fusée et même du char lunaire, croquis innombrables de la rampe de lancement, entretien avec l’auteur scientifique Alexandre Ananoff auquel Hergé soumet ses dessins… Rien n’est laissé au hasard, ce qui fit dire à certains que le premier homme à avoir marché sur la lune fut Tintin.
Un musée mais pas un mausolée
« Ça fait partie de la belgitude, c’est tout de même un art (le 9e, ndlr) de chez nous », commente un graphiste de Spa venu en voisin découvrir le musée Hergé, plutôt heureux de cet hommage rendu à l’un des maîtres de la BD du XXe siècle, même s’il reconnait préféré « la créature, Tintin, au créateur ». Certes, le musée gomme soigneusement la face plus sombre, plus ambigüe de la personnalité de Georges Rémi. Le maître de Louvain-les-Neuves, c’est Hergé le père de Tournesol, de Haddock, des Dupond et Dupont, de Milou et de son double solaire, Tintin. Sans l’ombre d’un doute. Pour autant, Laurent de Froberville ne considère pas ce musée comme un mausolée. Pour preuve, explique-t-il, « les expositions temporaires qui y seront régulièrement organisées. Ce sera notamment à l’automne une exposition consacrée à l'artiste Chang, l'ami d'Hergé qui lui a inspiré le personnage du Lotus bleu ».
Chang, mais aussi les soixante des premiers pas de l’homme sur la lune en juillet : autant de thèmes qui ne demandent qu’à être déclinés sans oublier à l’horizon 2011, l’adaptation cinématographique du Secret de la Licorne et du Trésor de Rackham le Rouge par le duo de choc constitué de l’Américain Steven Spielberg et du néo-Zélandais Peter Jackson. Pas de doute, même si les aventures de Tintin se sont arrêtées avec la mort d’Hergé en 1983, la fascination pour le petit reporter, elle, court toujours. Tintin à Hollywood… Décidément que de chemin parcouru depuis Tintin au pays des Soviets (1929) et l’apparition pour la toute première fois de l’intrépide héros.
Pour en savoir plus : http://www.museeherge.com/