Birmanie: le nouveau gouvernement d’Aung San Suu Kyi pressé d’agir

A travers tout le pays, des milliers de paysans réclament les terres que l’armée leur a volées sous le régime militaire (1962-2011). À Baegone, à quelques kilomètres de la capitale, les agriculteurs ont tout essayé pour obtenir des titres de propriété. Ils se sentent déjà très éloignés du nouveau gouvernement d’Aung San Suu Kyi, aux affaires depuis cent jours.

De notre correspondant de Baegone et Naypyitaw, Rémy Favre

Il sait que la parcelle lui appartient. Mais il n’en a pas la preuve écrite. Et cela le rend vulnérable. Pieds nus dans la terre grasse, Tha Aye Hlaing parcourt son lopin de terre, délimité par des bornes de ciment. « Nous sommes 42 agriculteurs et nous réclamons des titres de propriété pour une centaine d’acres [environ 40 hectares] que l’armée avait accaparés », explique ce paysan de Baegone, un village situé à une quinzaine de kilomètres de la capitale birmane, Naypyidaw.

Aujourd’hui, Tha Aye Hlaing peut cultiver sa terre. Après l’avoir confisquée il y a 22 ans, l’armée l’a autorisé à l’exploiter à nouveau en 2013. Cet homme de 43 ans plantera bientôt du riz sur son carré situé en contrebas d’une avenue large de deux fois huit voies, rarement empruntée, comme il y en a tant aux abords de la capitale, une ville nouvelle et froide. Mais sans titres de propriété, lui et ses voisins ne peuvent ni vendre leurs terres, ni les louer. Et ils auront sans doute des difficultés à les transmettre à leurs enfants. Sans document officiel, ils ne peuvent pas non plus prétendre à des prêts agricoles. « Pour acheter du matériel, nous devons emprunter à des individuels, relate Tha Aye Hlaing. Le taux d’intérêt est élevé, 10% à 15% par mois. »

« Le palais présidentiel est tout proche, nous pouvons y aller à moto. Si tous ceux qui ont perdu leurs terres étaient autorisés à rencontrer le président, il y aurait tellement de gens dans son bureau en train de se plaindre qu’il en mourrait, ironise-t-il. J’aimerais savoir comment le nouveau gouvernement va s’occuper de notre problème. »

Les agriculteurs de Baegone ont entrepris de nombreuses démarches pour réclamer des titres de propriété. Ils ont écrit à l’armée ainsi qu’au bureau du président. Ils ont contacté leur député, un membre de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi au pouvoir depuis le 1er avril dernier. Ils affirment que les militaires doivent maintenant leur délivrer un document indiquant que l’armée renonce officiellement aux parcelles qu’elle a volées. Munis de cette lettre, les villageois pourront alors demander des titres de propriété en bonne et due forme.

Mais l’armée ne semble pas pressée de leur remettre ce précieux document. Et la nouvelle administration, pas plus désireuse de pousser les militaires à la tâche. « Je transmettrai le dossier au niveau du township mais ce n’est pas mon travail de demander cette lettre à l’armée », prévient U Hla Kyaing, président du comité de gestion des terres du village de Baegone. L’administration du township promet de transférer le dossier à l’échelon supérieur, celui du district, et ainsi de suite. En réalité, personne ne souhaite prendre la responsabilité de demander aux militaires de rédiger la lettre tant espérée.

En Birmanie, l’armée est une institution très puissante, qui a gouverné pendant près de 50 ans, et qui occupe toujours un rôle de premier plan sur la scène politique. Les ministres de la Défense, de l’Intérieur et des Affaires frontalières sont des officiers nommés par le chef de l’armée. « La branche civile de notre nouveau gouvernement semble très faible pour résoudre notre problème, regrette Kyaw Kyaw Oo, un habitant de Baegone, lui aussi en quête d’un titre de propriété. C’est pour cela que je me sens loin du gouvernement. »

Le président birman, un proche de la conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi, a mis sur pied une nouvelle institution chargée de résoudre les conflits fonciers. Ce nouveau bureau n’a pas expliqué comment il s’y prendrait pour gérer cet épineux dossier. Contacté, le ministère de l’Agriculture n’a pas été en mesure d’indiquer combien de plaintes cette nouvelle institution avait reçues, ni quelles superficies elle avait éventuellement déjà restituées à des fermiers dans le pays.

Les rares informations dont disposent les organisations non gouvernementales spécialisées dans les questions foncières inquiètent. « Le nouveau gouvernement a dit qu’il règlerait les conflits en accord avec les lois existantes, ce qui est potentiellement problématique. Ces textes ont privilégié les grands investisseurs au détriment des petits paysans », analyse Ali Hines, responsable des questions foncières en Birmanie pour l’association Global Witness.

Désorientés, les paysans de Baegone attendent. Ils ne savent plus quoi faire. Ils sont persuadés que la LND au pouvoir est animée de bonnes intentions. Mais ils se demandent si cela suffira. « Nous sommes déjà allés deux fois à la caserne pour négocier, explique Kyaw Kyaw Oo. Les militaires n’ont jamais promis qu’ils renonceraient officiellement aux parcelles que nous revendiquons. »
 

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