RFI : Est-ce que l’on assiste à une vraie campagne de désobéissance civile aujourd’hui ?
Jean-Philippe Béja : En tout cas, c’est un mouvement qui a extrêmement de succès. Il y a énormément de gens dans les rues et il y en a de plus en plus. Il y a toutes les couches de la société. Ça a été lancé par les étudiants. La campagne de désobéissance civile, qui existait depuis très longtemps, devait normalement commencer le 1er octobre, mais en fait, il y a eu une mobilisation très importante de la population. Il faut bien noter qu’il y a une absence totale de violence. Malgré les foules importantes de dizaines de milliers de personnes qui sont là, personne n’a lancé quoi que ce soit sur les forces de l’ordre.
Est-ce l’image que veulent montrer les manifestants ?
Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est un mouvement totalement pacifique. Les gens sont d’autant plus scandalisés qu’il y a eu une rupture des promesses. La Chine avait promis des élections au suffrage universel pour 2017 et on pensait à ce moment-là que ce serait évidemment des élections avec un véritable choix. Or, l’Assemblée populaire nationale (APN) est revenue là-dessus et avec l’agrément du gouvernement de Hong Kong. Les gens sont très en colère contre le gouvernement de Hong Kong et veulent obtenir la démission du chef de l’exécutif.
Cela veut-il dire que la démocratie hongkongaise est réellement en danger aujourd’hui ?
Il n’y a pas véritablement de démocratie à Hong Kong. Ce qu’il y a, c’est la possibilité pour des démocrates et pour des gens élus d’empêcher le gouvernement de Pékin ou ses partisans ici, qui sont au pouvoir, de limiter ou de remettre en question les libertés fondamentales. Et c’est aussi en même temps une affirmation de l’identité hongkongaise, cette identité hongkongaise qui est très spécifique, qui est bien sûr une identité chinoise mais qui est aussi une identité liée à ce système politique, ses valeurs fondamentales, ses libertés fondamentales garanties par la loi fondamentale. Donc dix-sept ans après le retour de Hong Kong dans le giron de la mère patrie, la nouvelle génération qui n’a jamais connu la colonie britannique, affirme son identité et montre son attachement à un système démocratique, et demande à la Chine de tenir ses promesses.
Vous parliez de jeune génération. Le mouvement a été lancé par les étudiants. Ils ont été rejoints ce week-end par le mouvement pro-démocratie Occupy Central. Quel est le poids réel de ce mouvement ?
Le mouvement Occupy Central a fait de la mobilisation au cours des deux dernières années, mais cette fois-ci on peut dire que les étudiants ont véritablement lancé un grand mouvement social. Et une fois que le mouvement de masse est lancé, c’est très difficile - que ce soit pour Occupy Central ou pour les députés démocrates à l’Assemblée législative - de le contrôler. Aujourd’hui, c’est un mouvement tout à fait non violent, mais qui n’a pas véritablement de tête. C’est difficile de voir qui parle pour ce mouvement. Peut-être la Fédération des étudiants de Hong Kong, peut-être aussi des lycéens, mais il n’y a pas véritablement d’organisation. C’est un mouvement spontané de l’ensemble de la population qui est scandalisé par le retrait des promesses de Pékin.
Les manifestants ont-ils des chances d’obtenir ce qu’ils demandent ou pas ?
Très peu. Il faut bien le reconnaître, on voit mal l’Assemblée populaire nationale revenir sur une décision qu’elle a prise. L’autre revendication, c’est la démission du chef de l’éxécutif de Hong Kong. Ça aussi, on le voit mal, mais ce qui est possible, c’est qu’il sera peut-être en deuxième ligne et que d’autres membres du gouvernement, qui n’ont pas été en avant jusqu’à ce jour, viendront pour négocier avec les représentants du mouvement. Mais c’est très difficile. En tout cas, ça aura été un mouvement d’éducation politique extrêmement important qui forme une nouvelle génération de combattants démocrates et qui montre que l’identité spécifique de Hong Kong reste extrêmement forte.
C’est un mouvement extrêmement pacifique, n'y a-t-il pas de risques de voir se dessiner un scénario comme à Maïdan en Ukraine ?
Normalement non. Evidemment, on ne peut jamais exclure la présence d’agents provocateurs. Mais pour l’instant, on voit un mouvement véritablement très pacifique. Les gens sont assis par terre, ils discutent et ils entonnent des slogans. Il y a eu déjà beaucoup de mouvements de masse à Hong Kong depuis 1967 et qui n'ont jamais été violents. Donc il y a une certaine habitude. D’autre part, il y a une police qui, même si elle a utilisé des gaz lacrymogènes, a aussi l’habitude du contrôle des foules. Il me semble qu’il y a une réflexion de part et d’autre. Et normalement, ça ne devrait pas dégénérer en violence. Bien sûr, la présence d’agents provocateurs est toujours une possibilité qu’on ne peut pas exclure.