RFI : C’est la première fois qu’une transition démocratique du pouvoir peut s’opérer grâce à des élections en Afghanistan. Est-ce que cela a une influence sur ce scrutin ?
Mariam Abou Zahab : La participation était très élevée dès le matin. Et ça, c’était une très bonne surprise, y compris dans des endroits comme Jelalabad où il y avait énormément de menaces, où il y a aussi des problèmes climatiques, il pleut énormément. Et on ne s’attendait pas du tout à ce qu’autant d’Afghans fassent la queue pendant des heures pour voter avec tous les risques que cela comportait. Donc, c’est tout à fait encourageant.
Il y a aujourd’hui 8 candidats. Ils étaient 27 au départ. On sait que les procédures de candidatures ont été relativement verrouillées par le président sortant Hamid Karzaï. Est-ce que selon vous, un chef de l’Etat et un gouvernement crédibles peuvent sortir de cette élection, d’abord aux yeux des Afghans eux-mêmes ?
Aux yeux des Afghans, ce qui est important, déjà, c’est que cette élection est vue comme ayant été organisée par des Afghans, que tout le processus a été pris en main par des Afghans. C’est au moins la perception ce qui est important. Et donc cette fois-ci personne ne s’est demandé qui était le candidat des Américains. Donc, déjà on a progressé.
Bien sûr, il y a eu toutes sortes de rumeurs sur quel est le candidat favori d’Hamid Karzaï. Parce qu’on se doute bien qu’il ne va pas se retirer complètement. Il a aussi énormément d’intérêts à défendre, les siens et ceux de son clan. Donc il ne va pas disparaître complètement. Mais le résultat n’est absolument pas gagné d’avance et on ne sait pas du tout, parmi les trois candidats qui se détachent des autres, lesquels vont arriver en première position. Il n’y aura certainement pas un candidat qui aura 50 % des voix dès le premier tour. Ça paraît difficile. Après il reste à savoir si les perdants seront de bons perdants.
C’est tout l’enjeu de la question des fraudes...
C’est l’enjeu de la question des fraudes. Alors des fraudes, il y en aura bien sûr. On ne peut pas avoir en Afghanistan un scrutin comme en Occident. Il y a des mesures qui ont été prises pour éviter de renouveler les fraudes massives de 2009. Ceci dit, il y a encore des millions et des millions de cartes d’électeurs qui ont été délivrées et qui sont en circulation et qui excèdent de très loin le nombre d’électeurs potentiels.
Ce n’est pas tellement le problème des votes multiples qui peut entraîner des fraudes. C’est surtout le bourrage d’urnes ou les bureaux fantômes. C'est-à-dire des bureaux dans lesquels le matériel électoral n’est pas parvenu soit pour des raisons de sécurité ou des raisons climatiques. Donc des endroits très isolés, mais où le matériel électoral peut-être arrivé dans la maison d’un chef de guerre local. N’oublions pas qu’il y a aussi des élections provinciales en même temps et que là, il y a aussi des enjeux locaux très importants. Et là, on peut faire du bourrage d’urnes. On peut avoir 100 % de participation alors que le bureau n’a même pas ouvert.
Quelle crédibilité on peut avoir sur ces fraudes, puisqu’on sait que les observateurs internationaux ne sont pas présents et qu’il ne s’agit que d’observateurs afghans qui peuvent subir beaucoup de pressions ?
C’est bien le problème. Les observateurs internationaux, ou bien ont quitté le pays ou restent à l’intérieur de leurs maisons et ne peuvent pas sortir pour des raisons tout à fait compréhensibles de sécurité. Et les observateurs afghans n’ont pas l’expérience des observateurs internationaux. Et surtout, il y a un problème de transparence et de partialité. Il y a les agents des candidats, il y a d’autres observateurs locaux qui sont sensibles à l’intimidation et à des pressions, et qui peut-être vont dénoncer des fraudes réelles ou supposées d’un rival et puis fermer les yeux sur les fraudes d’un candidat qu’ils soutiennent. Donc on n’a pas de garanties là-dessus.
Alors l’examen des fraudes va prendre beaucoup de temps. On a prévu presque un mois, puisque les résultats définitifs du premier tour ne seront proclamés que le 14 mai. Ce qui même peut paraître un petit peu optimiste. On n’est pas du tout sûr qu’on aura examiné tout et qu’on aura des résultats vraiment définitifs du premier tour le 14 mai.
Ce qui veut dire que s’il y a un second tour, on ne connaîtra le nom du nouveau président afghan que très, très tard.
Juillet ou en août. Pas avant. Ce n’est pas possible.
L'autre enjeu, pour celui qui sera désigné à la tête du pays, ce sont les talibans. Contrairement à ce que l’on attendait, peu d’actions d’envergure. En tout cas aujourd’hui, puisque la campagne a été extrêmement mouvementée. Est-ce que cela veut dire qu’ils jouent le jeu d’un avenir politique qui les intègrerait ? Est-ce qu’on peut se diriger vers un gouvernement d’union nationale qui comprendrait des ministres talibans ?
Des ministres talibans dans l’immédiat peut-être pas. Mais tous les candidats, comme beaucoup d’Afghans qui sont épuisés après des décennies de guerre, sont d’accord pour des négociations. Il n’y a pas de moyen de sortir de cette crise politique, il n’y a pas de solution militaire. La seule solution c’est une solution de négociation pour arriver à un compromis à l’afghane. Ça veut dire qu’il faut éviter de refaire l’erreur de 2001, d’avoir exclu les talibans à une époque où ils étaient intégrables. Donc il faut les réintégrer dans le jeu politique. Il faut leur donner une place qui représente la sensibilité d’une partie de l’Afghanistan rural. Et il faut l’accepter. L’Afghanistan a beaucoup changé depuis 1996, depuis la prise de pouvoir des talibans.
Donc ce n’est plus le même pays. Il faut espérer qu’ils l’ont compris. Certains d’entre eux l’ont compris. Ce sont des islamo-nationalistes qui ont un agenda afghan. Ils n’ont pas du tout de programme d’aller répandre le jihad partout dans la région. Mais le problème qui reste entier c’est ce qui est à l’origine ; les problèmes sociaux, la pauvreté et la disparité sociale… Tout ce qui a permis l’arrivée des talibans. Et là, l’Afghanistan va avoir, parmi ces défis, de créer un système de justice qui soit crédible. Parce que c’est là-dessus que les talibans ont une supériorité morale par rapport au système de justice traditionnel afghan officiel qui ne fonctionne pas.
Cela veut dire qu’une intégration serait bien vécue par la population ?
Pas par tout le monde. Mais il faut passer par là si on veut sortir de cette crise. Et c’est quelque chose qui doit se faire entre Afghans et sans qu’il y ait des ingérences de pays voisins ou des Etats-Unis qui ont des intérêts et un pouvoir de nuisance.
Vous évoquiez les Etats-Unis, est-ce qu’ils jouent un rôle aujourd’hui dans cette élection ?
Ils s’efforcent de rester à l’écart et de ne pas jouer un rôle, pour ne pas refaire ce qui s’est passé en 2009 et avoir une élection qui n’était pas vue du tout comme légitime par la population afghane. Là, ils veulent surtout partir maintenant. Partir en disant : nous avons accompli notre mission. Voilà, les élections ont été organisées, elles ont été organisées par les Afghans, qui ont réussi à les organiser seuls. Et ils peuvent maintenant se débrouiller seuls.
On peut se demander si les forces de sécurité afghanes sont opérationnelles seules. Ça, ça reste à prouver. Donc il y a un discours de la coalition qui veut nous faire croire que oui. Les Afghans savent très bien ce qu’il en est en réalité. Mais ils ne veulent surtout pas donner l’impression qu’ils continuent à manipuler des processus politiques en Afghanistan.
On le sait également, l’Afghanistan est économiquement un pays miné que va laisser Hamid Karzaï, avec une corruption aussi généralisée. Et malgré tout il n’y a pas que du négatif, notamment avec l’évolution des femmes dans cette société afghane. Ont-elles un grand rôle à jouer dans cette élection et surtout dans le futur ?
On a vu beaucoup, beaucoup de femmes se déplacer pour aller voter. Dans les villes bien sûr. Dans les campagnes les maris ne laissent pas leurs femmes sortir de la maison pour aller voter, estimant qu’ils peuvent voter à leur place. Mais il y a surtout toute une génération de jeunes femmes rentrées d’exil, et qui elles, ont vraiment envie de faire quelque chose et de changer le statut des femmes afghanes. Et ça viendra de l’intérieur. Ça va prendre beaucoup de temps, ça ne va pas se faire en un jour. Mais il y a déjà des femmes qui sont présentes dans l’espace politique, au Parlement, ailleurs… Et donc on peut espérer que la situation évoluera.
Beaucoup de jeunes dans cette société afghane, la plupart n’ont connu que la guerre. Est-ce qu’ils croient encore aujourd’hui en l’avenir de leur pays ?
Une partie d’entre eux ou. Il y a bien sûr, beaucoup de jeunes qui sont désespérés et qui voudraient immigrer. Mais il y a encore des jeunes Afghans éduqués qui veulent rester en Afghanistan, veulent faire quelque chose pour leur pays et qui ont participé très, très activement à la campagne électorale. Donc ils ont encore de l’espoir.