L'Afghanistan à un tournant de son histoire

Ce samedi 5 avril, les Afghans sont appelés aux urnes pour élire un nouveau président après treize ans de règne de Hamid Karzaï. L'enjeu est crucial, car il s'agit de la première transition démocratique dans l'un des pays les plus pauvres du monde, miné par trois décennies de guerre quasi continue. 2014, c'est aussi l'année du retrait des forces de l'Otan, un départ qui fait craindre une flambée de violences.

L'Afghanistan entre dans une période de fortes incertitudes, à commencer par la bonne tenue du scrutin. Sous la menace des talibans qui ont lancé ces dernières semaines plusieurs attaques kamikazes et tué plusieurs dizaines de personnes, civils ou policiers, on ne peut pas dire que la campagne électorale s'est déroulée dans une atmosphère sereine. La tension est à son comble à la veille de ce scrutin déterminant pour l'avenir, puisque les talibans ont promis un « bain de sang », bien décidés à « perturber » l'élection et à empêcher « les traîtres » d'aller voter. Pour les islamistes, ce scrutin est illégitime et dicté par l'Occident. Environ 10% des bureaux de vote ne pourront d'ailleurs pas ouvrir pour des raisons de sécurité, particulièrement dans les villages reculés dans le sud et l'est du pays, où il y a une forte présence talibane. Et la crainte d'attentats risque d'en dissuader plus d'un de se rendre aux urnes. Selon les observateurs, l'élection sera considérée comme réussie si le taux de participation atteint les 30% et si la fraude est limitée.

→ A (RE) LIRE : Présidentielle en Afghanistan: l'Otan exhorte la population à voter

Et l'un des grands défis sera d'éviter le scénario de 2009. A la dernière présidentielle, Hamid Karzaï a été réélu, dans des conditions très contestées. Le scrutin a été entaché de fraudes et marqué par une faible participation et des violences. Même si le contexte a changé - la Constitution interdit à Hamid Karzaï de briguer un troisième mandat - le risque de fraudes est bien réel. Il pourrait alors entraîner le pays dans une nouvelle spirale de violences aux conséquences tragiques pour la population afghane et l'avenir du pays.

Trois grands candidats et des mois d'attentes

Ce samedi 5 avril débute donc le 1er tour. Huit candidats sont en lice, parmi lesquels trois font figure de favoris : Abdullah Abdullah, Zalmai Rassoul et Ashraf Ghani. Abdullah Abdullah est arrivé deuxième à la dernière présidentielle de 2009, c'est un ténor de l'opposition, l'ancien conseiller politique du commandant Massoud, apprécié par les Occidentaux. Zalmai Rassoul est un proche de Karzaï, polyglotte, il a étudié la médecine à Paris. Et Ashraf Ghani est un économiste internationalement respecté, ancien cadre de la Banque mondiale, tous les trois ont été ministres dans le gouvernement de Karzaï. Les observateurs estiment qu'aucun des trois ne réussira à franchir la barre des 50% dès le premier tour. Autrement dit, les deux candidats qui remporteront le plus de voix s'affronteront dans un deuxième tour, fixé au 28 mai. Le décompte des voix et les probables contestations des résultats incitent à la prudence. Il faudra des mois d'attente, peut-être jusqu'à octobre en cas de second tour pour connaître le nom du nouveau chef de l'Etat. Ce long délai laissera par ailleurs peu de temps à Kaboul et Washington pour conclure un pacte de sécurité permettant le maintien de 10 000 soldats après 2014.

Les chantiers titanesques du nouveau pouvoir à Kaboul

La première transition démocratique en Afghanistan, à quelques mois du retrait programmé des forces combattantes de l'Isaf en décembre 2014, met le nouveau pouvoir à rude épreuve. Et l'un des principaux défis du successeur de Hamid Karzaï sera d'éviter une flambée de violences politiques qui pourrait entraîner des conflits ethniques et un retour au pouvoir des talibans. Dans ce contexte, l'élection doit être juste et transparente, le président légitimement élu et reconnu par ses adversaires et la communauté internationale.

→ A (RE) LIRE : Afghanistan: le pessimisme du patron de l'Isaf

La priorité sera de reconstruire le mode de gouvernance, centralisé et personnalisé et un exécutif omnipotent laissé en héritage par son prédécesseur. Il faudra par la suite s'attaquer à la corruption et au clientélisme qui gangrène la classe politique et le pays tout entier. Et enfin, signer l'accord de sécurité avec Washington. Un pacte que les trois principaux candidats se sont engagés à signer. Cet accord est important pour plusieurs raisons. L'armée afghane est fragile, elle manque de ressources et connaît un pic de désertion d'environ 30%, ce qui signifie qu'elle se renouvelle tous les trois ans. Le constat est alarmant face à l'avancée des talibans qui ont réussi ces dernières années à se consolider un peu partout dans le pays. Enfin, il existe le risque qu'après le départ des Américains, l'armée afghane se fracture selon des lignes ethniques. Encore un chantier d'envergure pour le nouveau pouvoir qui devra promouvoir le dialogue et dissiper les tensions ethniques et tribales.

Depuis la chute des talibans en 2001, le pays a connu une importante transformation. Des progrès considérables ont été réalisés sur le plan des droits de l'homme et de la femme. Les grandes villes se sont développées, une jeunesse urbaine et dynamique est née (70% de la population a moins de 25 ans). Mais le revers de la médaille est moins reluisant. Les habitants dans les milieux ruraux vivent dans une extrême pauvreté, la corruption est omniprésente, l'Afghanistan continue d'être le champion mondial de la production d'opium. Les centaines de milliards de dollars qui ont été investis dans le pays ces treize dernières années n'ont pas bénéficié à tout le monde, loin s'en faut. Des milliards de dollars ont pu être détournés, placés sur des comptes à l'étranger, laissant le pays profondément dépendant de l'aide internationale. Plusieurs organisations internationales ont déjà exprimé leur inquiétude quant à l'avenir. Elles craignent qu'avec le départ des dernières troupes américaines d'Afghanistan, le sort des Afghans ne sombre totalement dans l'oubli et l'indifférence.

→ A (RE) ECOUTER : Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France

Partager :