Aux Philippines, un pas décisif vers la paix dans le sud de l’archipel

Le Front Moro islamique de libération a signé au palais présidentiel un accord de paix avec les représentants du gouvernement philippin, ce jeudi 27 mars. Le texte entérine la création de la région autonome du Bangsamoro. Il devrait mettre fin à un conflit qui a fait près de 150 000 morts depuis le début des années 1970.

Le Bangsamoro comprendra cinq provinces situées sur et autour de la grande île de Mindanao, au sud du pays, soit environ 10 % de l’archipel national. La région sera dotée de son propre Parlement et de ses propres forces de l'ordre. Elle percevra directement 75 % des taxes et impôts et, surtout, 75 % des revenus de l'exploitation des ressources naturelles, notamment des considérables gisements miniers. Sur le plan religieux, la charia s’appliquera aux musulmans pour les affaires civiles, mais pas pour les affaires criminelles. Manille gardera les habituelles prérogatives nationales : défense, affaires étrangères, monnaie, et citoyenneté.

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Il faudra deux ans, si tout se passe bien, pour que le processus soit mené à bien. Le président Aquino doit, avant la fin de l’année, soumettre au Parlement puis au Conseil constitutionnel un texte de loi d’autonomie. En 2015 la population des provinces concernées sera consultée par référendum. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’un gouvernement provisoire sera nommé, en attendant les élections législatives de 2016, qui éliront un Parlement de 50 représentants.

45 ans de lutte

L’organisation politique des séparatistes musulmans du sud des Philippines remonte aux années 1960. C’est avec la création, en 1969, du Front Moro de libération nationale (FMLN) que naît la lutte armée systématique. Héritage de la période coloniale, le terme « Moro » signifie « Maure » en espagnol. A l’époque, déjà, la région était peuplée par les musulmans, dans un pays à majorité catholique.

En 45 ans, les négociations, cessez-le-feu ou accords se sont succédé, sans qu’il soit possible de mettre un terme aux violences. En 1989, une première région autonome avait été décrétée. Et en 1996, le FMLN avait signé un accord important avec le gouvernement, mais en vain. Dès les années 1970, le mouvement séparatiste a fait face à des divisions internes. Le Front Moro islamique de libération (FMIL), qui signe aujourd’hui cet accord historique, est né d’une scission du FMLN en 1978. Ce sont les deux principales organisations, mais la rébellion, dans une région par ailleurs très clanique, comprend aussi le mouvement Abu Sayyaf et différentes micro-guérillas.

Une situation humanitaire catastrophique

Près de 150 000 personnes ont perdu la vie dans ce conflit au cours duquel exactions et déplacements de population se répètent au fil des décennies, dans un pays qui subit de plus régulièrement des catastrophes naturelles. En novembre dernier, le centre de l’archipel a été ravagé par le typhon Haiyan, qui a affecté 9 millions de personnes. Les violences séparatistes apportent, elles aussi, leurs lots de déplacés. A titre d’exemple, l’épisode de la prise du port de Zamboanga par les rebelles du FMLN pendant près de trois semaines, en septembre dernier, a fait 183 morts et 100 000 déplacés. Les conséquences économiques sont désastreuses pour une population qui travaille à 70 % dans le secteur agricole. Près d’un tiers des Philippins vivent sous le seuil de pauvreté et l’émigration est massive.

Un processus encore fragile

Paradoxalement, « cette situation humanitaire et économique peut être un facteur d’optimisme pour la viabilité de l’accord de paix », explique le chercheur David Camroux. « Le pays ne peut plus se permettre de gaspiller vies humaines et ressources économiques. Une région pacifiée permettra de mieux exploiter les richesses naturelles. Toutes les parties en profiteront, une fois établie la redistribution des revenus, enjeu-clé du conflit », explique-t-il encore. Le président Aquino a d’ailleurs fait du règlement de ce conflit l'un des principaux objectifs de son mandat.

La paix n’en reste pas moins fragile. Le principal écueil réside dans la division de la rébellion sur le terrain. Le FMIL s’est engagé à mettre fin aux combats et à désarmer progressivement ses forces, qui représentent quelque 10 000 hommes. Mais il est difficile de savoir aujourd’hui si les autres groupes de guérilla accepteront de faire taire les armes.

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