RFI : Avarie technique ou défaillance humaine de pilotage ? Ce sont des scénarios qui vous semblent plausibles dans l'affaire de la disparition de l'avion de la Malaysia Airlines ?
Christophe Naudin : La défaillance technique du pilotage non. Donc on peut l’écarter immédiatement. L’avarie technique, c’est très peu probable, parce que quand il y a une avarie technique, si vous voulez, l’avion donne un certain nombre de signes on va dire, de défaillances qui sont transmises à la compagnie aérienne en temps réel. Et donc on voit tout à fait la dégradation en fait, des conditions de vol. Là il n’y a rien, le vol était normal et tout d’un coup : rupture.
Comment explique-t-on qu’un avion puisse disparaître comme ça, d’un coup d’un seul, des écrans radars ?
On ne l’explique pas. Il ne disparaît pas seulement des écrans. Il ne disparaîtrait que de l’écran radar ce ne serait pas très, très grave. Mais là, il disparaît corps et âme si j’ose dire. C'est-à-dire qu’il n’y a même pas de trace physique aujourd’hui de cet appareil. Qui pourtant est quelque chose qui représente 300 tonnes quand même. Donc c’est beaucoup. Il y a plusieurs hypothèses. Evidemment, il y a le fait qu’il y ait eu déstructuration extrêmement violente et brutale, majeure, qui fait que l’avion s’est disloqué en plusieurs morceaux alors qu’il était en vol.
Il est possible qu’il se trouve aussi à l’heure actuelle au fond de la mer ?
Oui. Il y est très certainement. Aujourd’hui, on est quand même à plus de quelques dizaines d’heures après l’heure d’arrivée. Donc de toute façon, l’avion est nécessairement dans la mer. Où ? Et dans quel état ? On ne le sait pas. Alors dans la mer, tout dépend bien évidemment à quelle profondeur.
C’est étonnant que jusqu’ici on n’ait encore retrouvé aucun débris ? D’autant qu’on apprend que les nappes de carburant qui avaient été observées n’ont aucun rapport avec cet appareil.
Oui. Il était possible que ce soit des nappes de dégazage en fait, qui proviennent d’un bateau. Ce qu’avait vu la marine vietnamienne paraissait être, à mes yeux, mais je ne suis pas sur place, des éléments qui appartenaient à des filets de pêche. Et puis là on apprend que le fameux radeau est également un élément de pêche. Je ne suis pas étonné parce que d’abord on est dans une mer qui est très sale, où il y a beaucoup de déchets qui flottent, donc on va trouver beaucoup de choses. Je crois que si l’avion est tombé dans l’eau, et ça dépend de la position dans laquelle il tombe, on ne va pas retrouver grand-chose.
La piste d’un acte terroriste a rapidement été lancée. Quelle crédibilité y accordez-vous ?
Une crédibilité assez forte, dans la mesure où on a une conjonction sur les éléments techniques que vous venez de rappeler : c'est-à-dire un arrêt brutal de tous les types de communication du vol. Et d’autre part, le hasard fait qu’on a deux personnes qui sont montées avec des faux documents et deux autres dont l’identité est douteuse qui sont à bord. Donc ça rappelle quand même violemment les stratégies qui ont été employées dans le début du siècle par les organisations criminelles qui voulaient effectivement abattre des avions. Donc c’est le même type de stratégie. Pour l’instant, on n’a évidemment pas de certitude qu’il s’agisse d’un attentat.
Il n’y a pas eu de revendication ?
Il n’y a pas de revendication, mais ça, ça correspond plutôt à la technique qui est employée aujourd’hui par les organisations terroristes. C'est-à-dire que ça permet de prolonger la communication sur l’attentat. Donc c’est beaucoup plus anxiogène pour les gens. Et aujourd’hui c’est ce qu’ils utilisent. Mais encore une fois on n’a aucun élément. Et je ne vois pas trop comment on va en obtenir d’ailleurs. Même si on retrouve l’épave, ça va être très compliqué de pouvoir déterminer que ce fut éventuellement une explosion qui s’est produite à bord, donc apparemment un engin explosif improvisé. Donc là il faudrait retrouver l’ensemble des éléments qui appartiennent à l’avion. Et puis savoir en fait – tant qu’il n’y a pas de revendication – s’il y a réellement eu une action qui a été menée, quelle crédibilité on pourrait y apporter. Ça va être une enquête qui s’avère très complexe.
Justement, en moyenne dans ce type d’affaires ce sont des enquêtes qui durent combien de temps avant qu’on sache vraiment ce qui s’est passé ?
Le minimum du minimum c’est déjà deux ans pour rassembler les éléments. Et en général, ça dure plutôt vingt ans.
Vous évoquiez ces passagers suspects avec des passeports volés. Les failles dans la sécurité à l’aéroport de Kuala Lumpur sont bien évidemment pointées du doigt. Ça veut dire qu’il est donc encore possible, en 2014, d’échapper aux contrôles ?
En fait, je crois que la philosophie des contrôles qui sont mis en place n’est pas la bonne. Aujourd’hui on s’évertue pour des mauvaises raisons philosophiques d’ailleurs, à vouloir contrôler les objets qui sont transportés par les personnes. Donc on fait enlever vos chaussures, votre ceinture, votre crème de jour, votre bouteille d’eau, etc...Or, ce qui est dangereux dans un avion ce ne sont pas des objets qui, par nature, sont inertes. Même si j’avais une arme, et qui allait dans l’avion, l’arme toute seule ne fera rien. Ce sont les gens qui sont dangereux. Et on n’a pas encore compris qu’il fallait contrôler justement les personnes et pas les objets. Donc alléger les contrôles sur les objets et le renforcer sur les personnes.
De quelle manière renforcer ces contrôles sur les personnes ?
Renforcer le contrôle sur les personnes sans que cela devienne attentateur aux libertés individuelles et aux libertés collectives bien entendu, et à la liberté de circuler, c’est essentiellement la biométrie. C'est-à-dire faire le lien entre l’identité présentée et le porteur du document. Ça, c’est simple, on sait le faire. C’est d’ailleurs même une invention française. Mais on ne le met pas en place.
Pourquoi ne le met-on pas en place ?
Parce qu’on a des freins sociologiques globalement, comme toutes les choses qui sont un petit peu modernes, comme les OGM, comme le nucléaire, comme tout ça. Quand on ne connaît pas, en France, on préfère dire non d’abord et puis on verra après. Moi je pense qu’il vaudrait mieux qu’on expérimente et puis qu’après on corrige ce qui ne va pas ou ce qui éventuellement s’est fait dans la précipitation. Mais je suis persuadé que dans les années à venir, la biométrie sera incontournable dans tous les types de transports.