Avec notre correspondant à Pékin, Stéphane Lagarde
Les vendeurs de hochets traditionnels en bois n’ont plus qu’à aller se rhabiller, même chose pour les distributeurs de pop corn. Les machines sont couchées sur des véhicules à trois roues et leurs conducteurs, aux klaxons visiblement contrariés, faisaient une mine de la couleur du ciel ce mercredi après-midi au cœur du vieux Pékin. Décidemment, depuis quelques jours les affaires en plein air sont très mauvaises dans la capitale chinoise.
« Respirer le même destin »
Si la plupart des élèves chinois étaient encore à l’école ce mercredi, voilà trois jours que les lycées internationaux font classes vides. La faute au brouillard qui a gommé les paysages et pousse les habitants à se cloîtrer à la maison. Comme les trottoirs des avenues du quartier des affaires, les pavés du vieux Pékin avancent masqués. Jaune pour la fille, noir à rayure pour le garçon : ce couple de touristes venu de Tianjin sur la cote-est a opté pour des masques en tissu avec filtre en papier destiné à se protéger des fines particules 2,5 tellement destructrices pour les poumons. « Bien sûr qu’on porte un masque, répondent en cœur ces deux jeunes gens âgés de 20 ans qui s'étonnent qu'on puisse leur poser la question. Il suffit de regarder le liquide noir qui nous sort des narines pour voir combien le brouillard de Pékin est nocif pour la santé. »
Le brouillard de Pékin véritable machine à crotte de nez, c’est pourtant dans ces même ruelles qu’est venu se promener la veille mardi Xi Jinping. Sur les photos, le chef de l’Etat et ses accompagnateurs, dont le secrétaire du Parti communiste et le maire de Pékin, ne portent pas de masque afin de « respirer ensemble avec le peuple et partager le même destin », titrent la plupart des médias officiels ce mercredi.
Une attitude qui a entraîné sourires et critiques sur internet alors que « l’airpocalypse » fait désormais partie des sujets de mécontentement premiers de la population. Un Chinois a ainsi porté plainte contre les autorités devant un tribunal du district de Shijiazhuang, la capitale de la province du Hebei, à 200 kilomètres de Pékin. La province dont les centrales à charbon et les cheminées d’usines hautement polluantes entourent la capitale chinoise, a enregistré récemment une densité de particules PM 2,5 de 761 microgrammes, selon un relevé officiel de la ville de Xinji, mentionné par l’AFP. C’est 30 fois le plafond maximum de 25 pour une exposition de 24 heures recommandé par l’Organisation mondiale de la santé.
Statues masquées
Fâchés par des discours antipollution non suivis d’effets ou par des mesures qui se font attendre, des étudiants de Beida, l’une des deux plus prestigieuses universités de Pékin, ont osé faire porter des masques aux statues des mandarins de leur campus tout en faisant mention sur le réseau social Sina Weibo du rapport sorti par l’Académie des sciences de Shanghai le 12 février dernier.
Les académiciens avaient alors classé Pékin au bas d'une liste de 40 capitales concernant l’air qu’on y respire, n’hésitant pas à euphémiser sur le côté « peu vivable » de l’ancienne cité des empereurs. Selon l’ancien ministre de la Santé Chez Zhu, la pollution tuerait ainsi entre 350 et 500 000 Chinois par an, alors que le chercheur Zhong Nanshan affirme que le nombre des cancers du poumon a augmenté de 60 % ces dix dernières années en Chine.
Impossible de vivre à visage découvert
Impossible de vivre à visage découvert dans les grandes métropoles chinoises. « Il y a aujourd’hui un décalage entre les mesures annoncées par les autorités et la frustration de la population face à une pollution qui modifie les modes de vie », affirme une journaliste qui a souhaité garder l'anonymat. Avant de plaisanter : « Je suis arrivée en mars dernier à Pékin, un ami m’a donné un masque en cadeau de bienvenue et depuis j’en ai eu beaucoup d’autres. »
Des masques de protection contre les fines particules de pollution, cadeaux tendances mais désormais difficiles à trouver. Ce mercredi soir à minuit, l’alerte orange devrait être relevée après 130 heures de haute pollution sans discontinuer annonce le Quotidien du Peuple. Un nouveau record qui a entraîné une ruée sur les boutiques en ligne. Les masques de la société américaine 3M sont ainsi ce mercredi soir en rupture de stock sur le site Jingdong, l’un des plus gros vendeurs de l’internet chinois.