Le 9 janvier dernier, Kaboul annonçait la libération prochaine de 72 détenus. Finalement, ils ont été 65 à quitter ce jeudi 13 février la célèbre base militaire de Bagram, connue pour abriter jusqu’à récemment la prison dans laquelle les Américains enfermaient ceux qu’ils soupçonnaient d’être des talibans - une prison surnommée le « Guantanamo d’Orient »...
Mais fin 2012, début 2013, ce sont les forces de sécurité afghanes qui en ont peu à peu pris le contrôle, héritant de plusieurs milliers de prisonniers. A en croire les Américains, les 65 personnes libérées ce jeudi matin sont directement liées à des attaques qui ont tué ou blessé 55 personnes : des membres de la coalition, des membres des services de sécurité afghans et des civils. Certaines auraient été arrêtées avec sur elles des fusils d’assaut, des lance-grenades, ou encore du matériel pour assembler des bombes.
L’armée américaine voulait que ces hommes passent devant la justice afghane. Les Etats-Unis faisaient donc pression depuis des semaines sur le gouvernement afghan pour qu’il ne les libère pas. Washington aurait même fourni des centaines de pages de preuves incriminant les prisonniers, par exemple des empreintes digitales liant plusieurs d’entre eux à la fabrication de bombes. Les Afghans affirment aujourd’hui que suite à ces plaintes, ils ont réétudié les dossiers des prisonniers, mais qu’ils n’ont trouvé aucune preuve contre eux. L’ambassade des Etats-Unis à Kaboul affirme elle que ces preuves n’ont jamais été sérieusement étudiées par les autorités afghanes.
« Un grand pas en arrière », selon Washington et l’Otan
Les 65 hommes ont franchi jeudi matin les portes de la prison par petits groupes de cinq ou six, avant de prendre des taxis et des bus pour quitter le site, situé à 50 kilomètres de Kaboul. « Nous les avons libérés. Ils sont partis en voiture chez eux, mais nous n’avons pas organisé le transport pour eux », précise le chef de la police militaire de la prison de Bagram.
Réaction de l’ambassade américaine à Kaboul : cette nouvelle est « profondément regrettable, le gouvernement afghan devra assumer les conséquences de cette décision ». Washington est d’autant plus furieux que, à l’en croire, ces libérations sont « contraires » à l’accord sur le transfert de la prison de Bagram, dans lequel les autorités afghanes « s’engageaient à prendre toutes les mesures possibles pour s’assurer que les personnes libérées ne représentent plus une menace » pour la sécurité.
Le secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen, s’est lui aussi exprimé - l’Otan dirige toujours l’Isaf, les forces de la coalition en Afghanistan, qui doivent terminer leur départ du pays à la fin de l’année. Il parle lui aussi d’un « grand pas en arrière » pour l’Etat de droit en Afghanistan, et fustige une décision « qui semble avoir été prise sur la base de calculs politiques et sans égard pour les procédures judiciaires ». Une attaque qui vise directement le président afghan…
Une libération politique ?
2014 est une année importante pour l’Afghanistan : en avril, c’est la présidentielle, et Hamid Karzaï, qui préside aux destinées du pays depuis la chute des talibans, ne se présentera pas, conformément à la Constitution. En quittant le pouvoir, il quitte aussi une certaine sécurité. 2014, c’est aussi l’année du départ, d’ici le mois de décembre, d’une coalition toujours largement constituée d’Américains.
Et justement, Hamid Karzaï refuse de signer le traité bilatéral, sur lequel les deux pays s’étaient pourtant mis d’accord, qui doit organiser les relations entre les Etats-Unis et l’Afghanistan. Il veut que ce soit son successeur qui s’en occupe. Manifestement, le président afghan veut montrer aux talibans que, contrairement à ce qu’ils répètent, il n’est pas la marionnette des Américains.
La libération de ces 65 talibans présumés va dans le même sens, d’autant qu’Hamid Karzaï a affirmé ce jeudi : « J'espère que les Etats-Unis vont arrêter de harceler les autorités judiciaires afghanes et de contester leurs procédures (...) si les autorités judiciaires afghanes décident de libérer des prisonniers, cela n'est pas et cela ne doit pas être l'affaire des Etats-Unis ».
C’est donc un appel du pied de plus en direction des insurgés, avec lesquels il essaie depuis des mois de négocier directement, sans succès. D’autant qu’Hamid Karzaï n'a certainement pas oublié ce qu'il est advenu de celui qui, pendant des années, a été l’homme des Russes, le président afghan Mohammed Nadjibullah. Lorsque les talibans ont pris Kaboul en 1996, ils l'ont pendu.