Immolations au Tibet: les nouveaux «martyrs»

Un jeune Tibétain de 28 ans s'est immolé par le feu, ce vendredi 18 janvier, dans la province du Sichuan, pour protester contre la domination chinoise. Depuis 2009, 97 Tibétains se sont immolés. Malgré une répression chinoise de plus en plus rude (qui frappe les familles des personnes concernées), les immolations ont toujours cours dans la quasi-indifférence de la communauté internationale. « Les gouvernements occidentaux sont des plus frileux quand il s’agit de la Chine », estime Katia Buffetrille, ethnologue et tibétologue.

Un article de Paulina Benavente

C'est la deuxième immolation d'un Tibétain en 2013. Vendredi après-midi, un jeune Tibétain de 28 ans identifié sous le nom de Dupchoek s'est immolé par le feu à Drachen, dans la préfecture d'Aba appartenant à la province du Sichuan (Sud-Ouest) pour protester contre la domination chinoise. Le 13 janvier, un jeune Tibétain d'une vingtaine d'années s'était immolé après une manifestation à Xiahe, un comté de la province du Gansu à l'ouest.

Les immolations s'étaient déjà multipliées à l'automne dernier : en octobre 2012, on en dénombrait 10. En novembre : 28. Cette vague d'immolations était survenue après la tenue du Congrès du Parti communiste chinois, qui avait nommé Xi Jinping chef à sa tête, un changement qui n'a lieu en Chine que tous les dix ans. De nombreux Tibétains ne supportent plus ce qu'ils considèrent comme une domination grandissante des Han, l'ethnie ultra-majoritaire en Chine, dans la région du Tibet, et la répression de leur religion et de leur culture. Pékin réfute ces allégations, estimant que les Tibétains bénéficient d'une liberté de culte.

Durcissement de la répression

En décembre, les immolations avaient quasiment cessé. Un coup d'arrêt que l'ethnologue et tibétologue Katia Buffetrille n'explique pas : « La reprise des immolations se comprend mieux que leur arrêt dans la mesure où rien n'a changé en dehors d'une répression plus intense. Même les Tibétains en exil avec qui j'ai parlé ne l'expliquent pas. Au début, nous avons pensé que c'était à cause de la répression, puisque la police chinoise s'attaque aussi aux familles et aux amis de l'immolé ». Pékin a en effet durci la répression face aux immolations en décembre : toute personne qui serait reconnue coupable d'avoir aidé ou incité un Tibétain à s'immoler par le feu pourra être poursuivie pour « homicide volontaire ».

Depuis février 2009, 97 Tibétains, dont de nombreux moines ou nonnes, ont mis le feu à leurs vêtements et environ 75 sont morts, selon l'ONG Free Tibet et Radio Free Asia, basée aux Etats-Unis. Au départ pratiquée surtout par les moines, l'immolation par le feu est aujourd'hui pratiquée par des laïcs. « Les moines tibétains étaient ceux qui avaient pris en charge la sauvegarde de leur culture, les monastères étant traditionnellement les lieux où était dispensée l'éducation, explique Katia Buffetrille, puis les laïcs ont repris le flambeau. »

Et les immolés sont considérés comme des héros. « Il y a un grand respect pour les gens qui s'immolent, ajoute l'ethnologue,  et cela se traduit par la présence de milliers de personnes à leurs funérailles en dépit des interdictions. A Dharamsala, les Tibétains en exil organisent une veillée à la bougie après chaque immolation ainsi que des prières au temple. » Et cette image de « martyr » ne plaît pas aux autorités chinoises : « Le dernier immolé a été incinéré très rapidement pour éviter de grandes funérailles », indique Katia Buffetrille.

Le Dalaï Lama reste silencieux

Malgré cela, le Dalaï Lama reste silencieux face à ces actes. Il est officiellement opposé aux immolations, regrettant que les Tibétains aient recours à de telles actions. « Pourtant, souligne Mme. Buffetrille, le Dalaï Lama a toujours prôné la non-violence de Gandhi qui n'hésitait pas à mener des grèves de la faim qu'il aurait certainement poursuivies jusqu'à la mort s'il n'avait pas obtenu ce qu'il voulait ». Et les Tibétains considèrent l'immolation par le feu comme un moyen non-violent de lutter dans la mesure où il n'y a pas de dommage collatéral.

En mars prochain, Xi Jinping sera désigné président de la République populaire de Chine. Le nouveau numéro 1 chinois voudra-t-il changer le statut du Tibet ? Katia Buffetrille dit ne pas y croire : « Les autorités chinoises veulent garder le pouvoir du Parti unique,et pour elles, la seule politique possible est celle d’une augmentation de la répression. Les Tibétains ne sont pas les seules "minorités" à vouloir le respect de leur culture et de leur identité : les Ouighours et aussi les Mongols connaissent des conditions similaires. »

Et du côté de la communauté internationale ? « Les gouvernements occidentaux sont des plus frileux quand il s’agit de la Chine », résume Katia Buffetrille. « La communauté internationale ne veut pas faire pression, pour ne pas compromettre d’éventuels accords commerciaux et, bien entendu, la Chine table là-dessus », explique l'ethnologue.

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