L’Inde élit le 19 juillet 2012 son 14e président de la République. D’habitude, l’élection présidentielle indienne, qui ne mobilise que les grands électeurs, est une affaire de routine. Le président est élu par les deux Chambres du Parlement et les Assemblées d’Etats pour un mandat de 5 ans. Les enjeux sont limités, car le locataire du palais de la Raisina Hill a une fonction essentiellement protocolaire selon la Constitution. Mais cette année, en raison de la crise politique que traverse le pays, le scrutin jouit d’une visibilité médiatique inédite.
Deux candidats sont en lice : d’un côté, P. A. Sangma, personnalité issue de la minorité tribale et ancien président du Parlement indien et de l’autre, Pranab Mukherjee qui appartient à la haute caste hindoue du Bengale et ministre des Finances jusqu’à encore récemment. Le premier est soutenu par l’opposition hindouiste et le second par le Congrès, le parti au pouvoir à New Delhi depuis 2004. Sauf accident, le candidat du pouvoir devrait remporter la course, avec plus de 70% de voix, des partis de l’opposition ayant décidé de voter pour lui.
Une allégeance sans réserve au Congrès
Vieux routier de la politique indienne, Mukherjee jouit en effet d’une cote de popularité élevée auprès des hommes et femmes politiques. Il connaît tous les chefs de parti qu’il côtoie depuis plus de 40 ans en sa qualité de parlementaire ou de ministre. L’homme est entré au Parlement il y a 43 ans sous les couleurs du Congrès. Proche d’Indira Gandhi qui l’a nommé ministre pour la première fois en 1973, il a occupé tous les postes ministériels régaliens, des Affaires étrangères aux Finances, en passant par la Défense et le Commerce.
Mukherjee voue une allégeance sans réserve au Congrès, malgré une traversée de désert douloureuse sous Rajiv Gandhi dans les années 1980. En raison de son excellente connaissance de la vie politique et des rouages bureaucratiques de la gouvernance, il a su se rendre indispensable auprès de Sonia Gandhi qui n’avait aucune expérience de la chose politique lorsqu’elle a pris les rênes du parti de Nehru et du Mahatma Gandhi il y a 14 ans. Pour autant, la désignation de Mukherjee en tant que candidat au poste du chef d’Etat n’a pas été très facile. Elle a même été prétexte d’une mini-révolte au sein de la coalition au pouvoir à New Delhi dirigée par le Congrès.
L’ère des alliances
Avec l’émiettement du jeu politique et la montée des partis régionaux, la gouvernance a beaucoup évolué en Inde au cours des deux dernières décennies. Fini le temps où le Congrès pouvait miser sur sa vocation nationale pour régner sans partage à Delhi. Il faisait et défaisait les gouvernements dans les Etats constitutifs de l’Union. Aucun parti national ne peut aujourd’hui former un gouvernement sans s’allier avec les formations régionales qui ont le vent en poupe.
C’est le cas du Congrès qui a dû forger une alliance (United Progressive Alliance ou UPA) avec de petits partis locaux pour arriver au pouvoir et s’y maintenir. Or l’UPA a failli voter en éclats lorsque le Congrès a voulu imposer à ses alliés la candidature de Mukherjee. Un allié majeur, le parti TMC du Bengale-occidental a menacé de claquer la porte de la coalition, avant de rentrer dans le rang. La bouderie de la pasionaria du Bengale Mamata Banerjee, qui dirige le TMC, s’explique moins par son opposition au candidat à la présidence que par l’état des rapports de force au sein de la coalition. Banerjee a révélé au grand jour la fragilité de l’UPA.
L’inconnu de 2014
Une fragilité qui ne peut qu’inquiéter le high command du Congrès, concentré sur les élections législatives importantes qui s’annoncent à l’horizon. Le bilan économique du parti au pouvoir n’est pas très bon. Les mauvaises nouvelles s’accumulent : ralentissement de la croissance, méfiance grandissante des investissements étrangers, hausse de l’inflation. Parallèlement, la réputation du gouvernement a été écornée par des scandales de corruption à répétition impliquant des ministres. Dans ce contexte, le Congrès peut difficilement espérer remporter le scrutin de 2014. Un sondage confidentiel lui prédit au maximum une centaine de sièges à la Chambre basse contre 206 aujourd’hui. L’opposition hindouiste (le BJP) n’étant pas en meilleure posture, le Parlement risque de connaître demain une période de turbulences, sans majorité claire. D’où l’intérêt pour le Congrès d’avoir un président de la République issu de ses rangs qui pourra, en cas de crises de pouvoir, affirmer ses prérogatives constitutionnelles en imposant ses choix. Ce choix a pour nom Rahul Gandhi que sa mère -la présidente du Congrès- voudrait voir accéder à la primature, en remplacement de l’octogénaire Manmohan Singh.
L’homme qui doit tout aux Nehru-Gandhi pourrait en effet jouer un rôle dans la perpétuation de la « dynastie » à la tête de « la plus grande démocratie du monde ». Toute la question est de savoir quel président Pranab Mukherjee voudrait être. Un président partisan ? Ou un président qui se situe résolument au-dessus de la mêlée ? L’intéressé en donnera lui-même sans doute la réponse le 22 juillet lors de la proclamation des résultats de son élection quasi-assurée.