Russie: les échanges commerciaux au menu de la visite de Vladimir Poutine en Chine

Vladimir Poutine entame une visite de trois jours en Chine ce mardi 5 juin. Après la Biélorussie, l’Allemagne, la France et l’Ouzbékistan, c’est le cinquième pays dans lequel se rend le président russe, pour sa première tournée internationale depuis son retour au Kremlin. Après un sommet Union européenne-Russie plutôt morose, l’ambiance devrait être plus chaleureuse à Pékin.

Le chef de l’Etat russe Vladimir Poutine considère la Chine comme un allié stratégique. Pékin et Moscou partagent en effet le même point de vue sur un certain nombre de grands dossiers. Sur la Syrie, notamment, les deux pays, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, continuent de s’opposer à une condamnation du régime de Bachar el-Assad.

Au plan économique, la coopération entre les deux pays se développe, en particulier dans le domaine des hydrocarbures. Moscou et Pékin négocient depuis des années la signature d'un contrat colossal, qui prévoit des livraisons de quelque 70 milliards de mètres cubes par an de gaz russe à la Chine, sur les trente prochaines années. Mais les discussions butent toujours sur les prix.

Des échanges en constante augmentation entre la Russie et la Chine

D’une façon générale, le volume des échanges entre les deux voisins se trouve en constante augmentation, mais il y a encore une importante marge de progrès. « L'année dernière, nous avons battu un record, avec 80 milliards de dollars d'échanges et ça va continuer à augmenter », explique Serguei Sanakoev, le président de la Chambre de commerce russo-chinoise (CCRC). « Les chefs d'Etat ont déjà annoncé qu'à l'horizon 2015, on devrait atteindre les 100 milliards de dollars et 200 milliards en 2020. Ce sont des chiffres tout à fait normaux, ils n'ont rien d'exceptionnel. À titre de comparaison, le volume des échanges commerciaux entre la Chine et les Etats-Unis dépasse déjà les 300 milliards de dollars ».

Singulariser l'espace ex-soviétique

Avant d’arriver en Chine, le président russe est passé par l’Ouzbékistan et au retour, il fera une escale dans une autre ancienne république soviétique d’Asie centrale, le Kazakhstan.

« Avant même d'être réélu à la présidence, Vladimir Poutine a fait savoir qu’il voulait singulariser l'espace ex-soviétique, en lançant tout un projet d'intégration eurasiatique, explique Isabelle Facon, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Il va commencer par une sorte de noyau dur, avec une union douanière Russie-Biélorussie-Kazakhstan, mais la Russie espère aller plus loin. Un réflexe de repli sur le voisinage proche existe. Pour se protéger des instabilités du monde extérieur, la Russie a toujours considéré qu'il lui fallait contrôler le plus étroitement possible sa proche périphérie ».

Vladimir Poutine participera le 7 juin au sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OSC), une entité qui regroupe la Russie, la Chine et quatre ex-républiques soviétiques (Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Kirghizistan). L'OSC est censée faire contrepoids à l'influence américaine en Asie centrale.

Après son refus de se rendre à la mi-mai à un sommet du G8, puis de l'Otan aux Etats-Unis, la décision de Vladimir Poutine de participer à ce sommet de l'OSC a son importance et pourrait jouer sur les relations futures avec Washington.

La rhétorique anti-américaine a pris le dessus

Après les années de la présidence Medvedev, marquées par la politique de remise à plat des relations entre la Russie et les Etats-Unis, ces derniers mois, la rhétorique anti-américaine a pris le dessus, en particulier durant la campagne législative ainsi que la présidentielle. Mais aujourd’hui, le discours entretenu par Vladimir Poutine pourrait jouer contre une politique de rapprochement. 

Selon Viktor Kremeniouk, directeur adjoint de l'Institut des Etats-Unis et du Canada (IEUC) à Moscou, « Poutine est un pragmatique qui comprend bien l'importance des Etats-Unis, mais ses déclarations imprudentes, comme celles sur le secrétariat d'Etat américain qui paye les opposants, ont reçu un écho très important et inattendu dans la société russe ».

Le cas du bouclier antimissile américain

Ces propos n’iront pas sans poser de problèmes dans la politique étrangère russe. « La question est de savoir dans quelle mesure Poutine aura les mains libres dans sa relations avec les Etats-Unis » après toute cette rhétorique anti-américaine, poursuit Viktor Kremeniouk. « Prenons le bouclier antimissile. Il est clair qu'il va falloir négocier. Mais les militaires seront contre. On a beaucoup de nostalgiques en Russie. De nombreuses institutions russes sont restées dans le passé et elles ont toutes été contaminées par l’anti-américanisme. On pourra donc avoir des généraux qui feront des déclarations pour menacer de frappes ce bouclier américain. Bref, politiquement, ça ne sera peut être pas très confortable pour Vladimir Poutine ».

La Syrie comme possible monnaie d'échange

Pour autant, l'anti-américanisme affiché par une partie de l’élite russe ne signifie pas que Moscou gardera forcément une ligne intransigeante sur la Syrie. Si les dernières discussions avec les responsables européens n'ont rien donné, certains experts n'excluent pas un rapprochement des points de vue avec les Occidentaux, et en particulier avec les Américains, lorsque le besoin s’en fera ressentir à Moscou.

La Syrie pourrait alors être utilisée comme une monnaie d'échange, estime Alexandre Shoumiline, directeur du Centre d'étude des conflits du Moyen-Orient (Cecmo). « Poutine va jouer cette carte avec Obama et non pas avec Hollande ou Merkel. Il avait déjà négocié de cette façon sur le dossier iranien au début du mandat d'Obama. Le marchandage était le suivant : nous annulons le contrat sur les S 300 et vous, vous enlevez votre bouclier antimissile de Pologne et de République tchèque ».

Selon Alexandre Shoumiline, un schéma similaire pourrait se dessiner avec d'autres éléments dans la négociation, qui peut se résumer en ces termes : « Moi Poutine, j'agis de concert avec vous sur la Syrie, et en échange, vous reconnaissez ma légitimité et vous accordez moins d'attention à l'opposition à Moscou. Ensuite, et seulement ensuite, on pourra passer en revue d’autres dossiers, tels que le bouclier anti-missile ».

Autant de questions que Barack Obama et Vladimir Poutine auront l'occasion d'évoquer en marge du sommet du G20 au Mexique, les 18 et 19 juin prochains.
 

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