Trois heures de conférence et un Wen Jiabao qui en redemande : « Si vous n’êtes pas trop fatigués, je prendrais bien deux autres questions », s’excuse-t-il en souriant. En réalité, l’exercice est très bien rodé. Comme chaque année, les journalistes qui s’adressent au Premier ministre ont été désignés à l’avance. Comme chaque année, ils ont dû soumettre une série de questions au ministère des Affaires étrangères chargé de la sélection. Mais cette fois, l’exercice est plus long que les précédents. La presse est accueillie sous les ors de la République populaire de Chine : forêt de micros et caméras dans le « salon doré » du Palais du peuple avec ses colonnes dorées à l’or fin et ses grandes fresques représentants les montagnes du pays.
Urgence de la réforme
Quinze questions au lieu de 10 posées habituellement. Le Premier ministre sait que c’est pour lui l’une des dernières occasions de s’exprimer devant les objectifs. Il a exactement un an devant lui, Wen Jiabao, puisque lors du prochain congrès en mars de l’année prochaine, le tandem Xi Jinping et Li Keqiang devrait très vraisemblablement prendre le relais à la tête du pays. Il y a donc urgence. Une nouvelle fois le chef du gouvernement enfourche son cheval de bataille : celui de la réforme du pays.
« Nous entrons dans une période cruciale pour les réformes », affirme Wen Jiabao. « Si la réforme politique n’aboutit pas, la réforme économique ne pourra être menée à bien. Sans la réforme de notre système de gouvernance et de notre Parti, les nouveaux problèmes apparus dans la société ne pourront pas être fondamentalement résolus. L’influence des erreurs et du féodalisme de la Révolution culturelle n’a pas été complètement éradiquée », insiste le Premier ministre.
Cette réforme politique est d’autant plus urgente que « Wen Yeye » - papy Wen - comme l’appellent les Chinois, n’a pas pu la réaliser pendant son mandat. Ce n’est pas la première fois d’ailleurs qu’il endosse les habits des réformateurs, mais son discours est souvent resté inaudible. Wen Jiabao est même l’un des seuls Premiers ministres au monde à avoir eu ses propos censurés dans son propre pays lorsqu’il était interviewé en 2010 par la chaîne CNN. Mais cette fois, Wen Jiabao sait qu’il devra bientôt quitter la scène. Le Tibet, le yuan, Taiwan, le Premier ministre défend la politique de la Chine pour revenir toujours à ses premières inquiétudes : « Une tragédie comme la Révolution culturelle pourrait se reproduire, dit-il. Chaque membre du Parti, tous les dirigeants qui ont de la responsabilité doivent ressentir cette même urgence. Nous ne pouvons pas nous arrêter et revenir en arrière, ce serait sans issue. »
Démocratie dans les pays arabes
Cette référence à « la chute de la bande des quatre » et à la Révolution culturelle fait partie du patrimoine génétique du Premier ministre. Wen Jiabao a vécu les événements de 1989 au côté de l’ancien Premier ministre de l’époque. Il était sur la place Tiananmen avec Zhao Ziyang, qui a refusé de laisser tirer sur les étudiants et qui a été destitué ensuite. C’est donc le chef de file des réformateurs au sein du Parti qui s’est adressé à nouveau à la presse ce matin. Allusion sans le nommer au village de Wukan, dans le sud du pays, où des élections ont été organisées le mois dernier : « J’ai déjà parlé plusieurs fois de la nécessité d’une gouvernance autonome pour les paysans. Je reste persuadé que si le peuple peut bien s’occuper de ses affaires dans un village, il peut aussi très bien le faire à l’échelle du comté, ou au niveau de la ville. »
Réponse également à un confrère de la chaîne al-Jazira s’inquiétant des « divergences de vues croissantes entre la Chine et les pays arabes » : « Les aspirations à la démocratie des peuples arabes doivent être respectées et obtenir une vraie réponse et cette évolution vers la démocratie ne peut être jugulée par aucune force », a déclaré Wen Jiabao. Des propos étonnants là encore, alors qu’officiellement Pékin continue de s’opposer à toute intervention en Syrie et que la diplomatie chinoise ne cesse de prôner la non ingérence dans les affaires intérieures des pays.
Roi de la comédie ?
Cet empressement aux réformes finirait presque par devenir suspect pour certains. Wen Jiabao est certainement l’homme politique le plus populaire du pays mais cela fait longtemps qu’il prêche dans le désert. L’opinion a fini par s’y habituer, mais sait très bien que ses discours détonnants ne sont pas suivis par le reste de la direction du Parti. Wen Jiabao est notamment le premier responsable politique chinois à avoir été à la rencontre des pétitionnaires l’année dernière. Ils sont plusieurs dizaines de milliers à venir chaque année porter leurs doléances à la capitale pour les injustices qu’ils disent avoir subies. La visite n’a rien changé à leur sort.
Autre exemple, le Premier ministre s’est à plusieurs reprises opposé à la toute puissance de l’appareil de sécurité d’Etat. Or ce matin, lors du dernier jour de la session plénière annuelle de l’ANP, 2 639 députés (160 contre et 57 abstentions) ont donné leur approbation à une réforme du code de procédure pénale offrant notamment un cadre légal aux détentions secrètes. Une impuissance qui a fini par faire douter Yu Jie. Pour cet écrivain basé à Hong Kong, Wen Jiabao est le « plus grand acteur de Chine », celui qui jouerait le rôle du gentil dans le tandem dirigeant la Chine.
Pour ne pas rester comme un roi de la comédie dans les manuels, Wen Jiabao a pris trois longues heures pour s’expliquer ce mercredi : « J’ai donné les 45 dernières années de ma vie à mon pays et j’ai la responsabilité de devoir affronter l’Histoire, a poursuivi le chef du gouvernement chinois. Et c’est l’Histoire qui aura le dernier mot ! »