Les autorités chinoises se méfient des anniversaires qui ne figurent pas au calendrier officiel. Elles redoutent particulièrement l’arrivée du printemps au Tibet et la date du 10 mars qui marque le soulèvement de Lhassa en 1959, suivit sept jours plus tard par le départ en exil du Dalaï Lama.
Chaque année à la même époque, les contrôles se font donc plus sévères dans la région autonome : surveillance accrue des monastères et filtrage des touristes notamment. Mais cette année, le bouclage vaut pour l’ensemble du plateau tibétain, à commencer par les préfectures de Ganzi et d’Aba dans la province du Sichuan.
Deux « Nouvel An » tibétain
Sur le papier, les résidents des zones tibétaines des provinces chinoises et notamment de la région du Kham sont plutôt chanceux. Ces derniers ont droit à deux « Nouvel An lunaire », puisqu’ils célèbrent traditionnellement, comme les provinces du Gansu et du Qinghai (Amdo), l’entrée dans la nouvelle lune au même moment que le reste de la Chine (22 janvier cette année) mais aussi, comme la région autonome du Tibet, le « Losar » à savoir le Nouvel An traditionnel tibétain.
Ces trois jours de festivités sont à la fois une célébration bouddhiste et un rite familial observé dans la partie ouest du plateau tibétain. Ce mercredi encore, le gong a sonné deux fois par minute dans les monastères pour marquer l’entrée dans la nouvelle année.
Des cérémonies à minima car depuis la répression des émeutes de 2008 à Lhassa, de nombreux Tibétains boycottent l’évènement. Une manière aussi de marquer leur opposition aux restrictions imposées par les autorités chinoises. Le nouveau leader politique tibétain, Lobsang Sangay, a ainsi vivement encouragé il y a quelques jours la communauté à faire le minimum, rapporte l’AFP, en « allant au monastère faire des offrandes et en allumant les lampes au beurre pour tous ceux qui ont sacrifié leur vie et souffert sous les politique répressives du gouvernement chinois ».
« En s’immolant, tu gagnes de l’argent »
Un appel au boycott dénoncé par Pékin : « Depuis l'année dernière, il y a eu des incidents individuels d'auto-immolation dans le Sichuan et d'autres régions tibétaines, et nous sommes peinés de ces décès (…) Selon ce que nous savons, beaucoup de ces immolations sont directement liées à la clique du Dalaï Lama », a affirmé mardi un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.
« Comme d’habitude, les exilés ont demandé aux autres Tibétains de ne pas fêter le Nouvel An pour faire pression sur le gouvernement chinois, poursuit Gang Zheng joint par RFI. Ils vont organiser des cérémonies pour rendre hommage aux immolés. Ils les appellent des «martyrs», c’est pour salir l’image du gouvernement chinois, insiste ce chercheur à l’Institut de Tibétologie du Sichuan.
En fait, la Chine a déjà beaucoup fait pour les régions tibétaines. Les autorités accordent la liberté religieuse. Il suffit d’aller là-bas pour voir que les monastères sont très luxueux et les moines très nombreux, 50 à 60 000 rien qu’au Sichuan. Les gens qui s’immolent, on a l’impression qu’ils contrôlent leur esprit. Et puis il y a une raison financière… En s’immolant, tu gagnes de l’argent… Les monastères organisent des donations pour les proches des moines, parfois ils collectent jusqu’à 2 millions de yuans. »
Immolations et répression
Il faudra probablement, cette année encore, chercher avant d’apercevoir les traditionnelles têtes de morts de l’entrée dans la nouvelle lune. Les festivités sont cantonnées loin des zones contestataires, comme mardi à Pékin, par exemple au temple de Yonghegong « où les gens se sont rassemblés pour la fête des fantômes », raconte le China Daily.
Les associations tibétaines à l’étranger ont recensé en moins d’un an 22 tentatives d’immolation dans les préfectures de Ganzi et d’Aba qui rassemblent plusieurs grands centres religieux dont Sêrtar et Kirti. C’est de ce monastère qu’est parti l’incendie protestataire il y a deux ans. Le 27 février 2009, alors que la police bloquait l’entrée de Kirti, un bonze nommé Tapey est arrivé avec un drapeau tibétain et une photo du Dalaï Lama, avant de se transformer en torche humaine.
Cette vague de suicides embarrasse Pékin qui a dû déployer des renforts partout dans la région. Les membres de la police armée patrouillent, le bâton dans une main, un extincteur dans l’autre.
Ces immolations gênent également le gouvernement tibétain en exil, comme l’explique Katia Buffetrille, ethnologue et spécialiste de la culture tibétaine à l’Ecole pratique des hautes études à Paris.
Mesures répressives sans précédent
Les zones tibétophones du Sichuan sont désormais aussi contrôlées que la région autonome du Tibet, avec des barrages routiers dès la ville de Kanding, la porte d’entrée du plateau, et des policiers en faction tous les 40 mètres à Aba et Ganzi.
La région est par ailleurs totalement fermée aux médias étrangers, même si officiellement les journalistes ont le droit de s’y rendre, contrairement à la région autonome. L’un des derniers à s’y être rendu clandestinement, à savoir le correspondant du Guardian, affirme n’avoir jamais vu un tel déploiement sécuritaire ailleurs en Chine.
Comme à Lhassa, des « comités de gestion » ont été mis en place dans les monastères des zones tibétaines chinoises, autrement dit un contrôle interne aux temples. Récemment, des moines qui s’étaient rendus à Dharamsala ont dû passer par des « stages de rééducation ». Des mesures de restrictions qui dissimulent une montée d’un ressentiment antichinois pour ne pas dire du nationalisme tibétain.
Des séances de jeûne et de prières sont également annoncées par les communautés tibétaines à l’étranger ce mercredi, en hommage aux moines et aux nonnes qui se sont immolés au Sichuan.