C'était il y a 10 ans, les premiers militaires français posaient le pied à Kaboul. Le bataillon français, le « Bat-Fra » comme l’appelaient alors les militaires, s’installait sur l’emprise de l’aéroport de Kaboul, communément désigné sous le nom de KAIA. Dès le 11 septembre 2001, le Premier ministre socialiste, Lionel Jospin, avait rappelé sa solidarité vis-à-vis des États-Unis et avait appelé les États à lutter contre le terrorisme.
Moins d’un mois après les accords de Bonn qui avaient marqué la création de la Force internationale d’assistance pour l’Afghanistan (Isaf), les soldats français se mettaient au travail. Sur l’aéroport, entre les épaves d’avions cargo russes Antonov, il fallut alors déminer les abords truffés d’engins explosifs, datant de la guerre contre les soviétiques (1979-1988) et de la guerre civile afghane qui a suivi.
Dès 2002, débutent les missions de formation « Epidote », mais cette fois-ci dans le cadre de l’opération « Enduring Freedom » (Liberté Immuable). L’armée française participe à la formation des cadres de l’armée afghane. Rapidement les effectifs français atteignent 450 hommes à Kaboul, alors qu’à Spin Boldak dans le sud du pays, les forces spéciales françaises, mènent aux côté de l’armée américaine une guerre de l’ombre contre le réseau terroriste al-Qaïda.
Avec le recul, le général Vincent Desportes, ancien commandant du Collège interarmées de défense (CID) et professeur à Sciences-po, estime que la force internationale n’a que partiellement atteint ses objectifs.
Des rendez-vous manqués
En 2003, les opérations menées par les militaires français en Afghanistan, s’apparentent encore à des missions de « maintien de la paix » comme l'armée française en mène régulièrement sous les couleurs des Nations unies, hier en Bosnie, aujourd'hui au Liban.
Le colonel Geoffroy de Larouzière, auteur du livre Le Journal de Kaboul aux éditions Bleu autour, est alors déployé dans le cadre du mandat « Pamir VI ». « A cette époque, la présence occidentale était récente, et l'Isaf c’était seulement 3 500 soldats ! Notre zone d’opération c’était Kaboul et ses alentours, et non pas le pays tout entier comme c’est le cas aujourd’hui ! ».
Les militaires français déployés admettent que le risque terroriste existait déjà, mais se souviennent aussi qu’ils patrouillaient parfois, « en béret » sans casque lourd, et qu’ils n’hésitaient pas à aller acheter des souvenirs sur l’artère commerçante de la ville, « Chicken street ». Leur mission était avant tout tournée vers l’assistance aux populations comme l’aide médicale et l’éducation. Selon les experts, c’est à cette époque que l’Afghanistan « aurait pu changer ». Le général Vincent Desportes reconnaît que « la grande erreur stratégique de l’Afghanistan fut l’Irak ! A un moment donné, les forces occidentales ont manqué de moyens qui étaient mobilisés en Irak. Pour tenir un pays comme l’Afghanistan dans le cadre d’opérations de contre-insurrection (COIN), il faut environ un membre des forces de sécurité pour 50 locaux, il aurait donc fallu des forces d’à peu près 600 000 hommes ! ». Jamais l'Isaf, passée sous mandat de l’Otan le 11 août 2003, ne disposera de tels moyens.
Le réveil taliban
Progressivement, l’Otan va pourtant renforcer sa présence et l’étendre dans tout le pays où les talibans se montrent de plus en plus actifs. Réunissant des dizaines de nationalités, ces forces ne dépasseront pas 150 000 hommes, essentiellement des soldats américains.
Avec les renforts, les pertes ne feront qu’augmenter. En 2006, les soldats français déménagent sur le camp Warehouse de l' Isaf à Kaboul. En fait, un ancien entrepôt de l’armée soviétique. En 2008, les forces françaises atteignent 2 785 soldat et se déploient dans la région de Kapisa à 60 kilomètres de Kaboul, dans ce qui est devenu le Regional Command East (Commandement région Est).
Premier avertissement pour l’armée française : en août, elle perd 10 de ses soldats pris dans une terrible embuscade en vallée d’Uzbine. Les talibans ont mobilisé une centaine de combattants, les Français se font piéger. Nicolas Sarkozy, président de la République leur rendra un hommage national aux Invalides à Paris. La France découvre que ses soldats mènent réellement une guerre en Afghanistan.
L’échec de la contre-insurrection
Au Pentagone, les généraux américains s’intéressent alors de près à la doctrine française de la contre-insurrection mise en application durant les guerres de décolonisation en Algérie et en Indochine. Le général américain David Petraeus cite le stratège français David Galula (1919-1968) mais la force internationale ne parviendra pas à conquérir les cœurs et les esprits.
« On s’est aperçu que cette doctrine ne fonctionnait pas bien, car en fait, les soldats de l'Isaf sont très largement associés par les Afghans à une force d’occupation » affirme le général Vincent Desportes.
Dès 2010, la France regroupe l'essentiel, de ses effectifs militaires, portés à 4 000 hommes, au sein de la Task Force Lafayette, dans une zone de 80 kilomètres sur 40 à l'est de Kaboul. Seul l'état-major et le soutien restent à Warehouse.
L’élimination en 2011 au Pakistan de celui qui était considéré comme le cerveau d’al-Qaïda n’y changera rien. « La mort d’Oussama ben Laden n’a pas eu d’influence sur la situation en Kapisa où opèrent nos soldats. Les talibans de la vallée entretiennent peu des liens avec la mouvance al-Qaïda », reconnaissait alors le général français Emmanuel Maurin, commandant du contingent français Lafayette. « Le volume de l’insurrection reste globalement constant », concluait-t-il à l’été 2011.
L'Armée nationale afghane, héritière de l'Isaf
L’Otan prévoit maintenant un retrait des forces militaires en Afghanistan en 2014, après une période de transition débutée au printemps 2011.
Début 2011, la France avait déjà retiré environ 400 de ses soldats, principalement du district de Surobi, progressivement restitué aux forces afghanes, afin de faire porter son effort en Kapisa, particulièrement dans la vallée de Tagab où les talibans restent très actifs.
D’ici deux ans, la Force internationale d’assistance pour l’Afghanistan (Isaf) compte avoir mis en place une armée nationale afghane (ANA) de 220 000 hommes. L’ANA recrute à tour de bras, mais payée, entraînée, et équipée par les Occidentaux, elle reste fragile, minée par ses divisions ethniques et infiltrée par les talibans. La mort, le 29 décembre 2011, de deux soldats français abattus par un militaire afghan « retourné » par les talibans n’en est que la dernière illustration.