Avec notre correspondant à Séoul
En ce début de XIe siècle, les hordes mongoles sont aux portes du royaume de Corée. Afin d’implorer la grâce du Bouddha, le roi ordonne alors au clergé de graver le « canon bouddhique » sur plus de 80 000 tablettes de bois : des sutras qui contiennent les enseignements, préceptes et discours du Bouddha, dont le message, parti d’Inde, se propage via la Chine, la Corée, pour finalement atteindre le Japon.
Les cavaliers mongols réussiront tout de même deux siècles plus tard à réduire en cendres la majeure partie de ces tablettes. En 1236, le roi Gojeong remet donc ses moines copistes bouddhistes à l’ouvrage. Ceux-ci gravent les 52 millions d’idéogrammes des précieux textes, sur 81 258 plaques en bois qui constituent la collection la plus ancienne et la plus complète du canon bouddhique en caractères chinois. L’alphabet coréen, avec ses rondeurs et ses angles, ne sera inventé et diffusé que des siècles plus tard.
Un texte parfait
« Nos ancêtres ont écrit ces textes, les ont relus, puis les ont gravés, puis les ont encore vérifiés cent fois. Il n’y a pas une seule erreur parmi ces millions de caractères, qui semblent écrits d’une seule et même main », s’enthousiasme Park Beom-sik. Ce professeur à la retraite, au sourire lumineux et à la passion communicative, accueille les visiteurs au monastère de Haeinsa, où est précieusement conservé le Tripitaka depuis le XIVe siècle.
Les tablettes en bois ont miraculeusement échappé aux vers, aux incendies, et aux innombrables invasions mongoles, japonaises, mandchoues puis occidentales de la tumultueuse histoire coréenne. Lors de la guerre de Corée (1950-1953), alors que des soldats nord-coréens se cachaient autour du temple, l’armée américaine aurait même ordonné son bombardement. « Le colonel Kim Yeong-hwan, le pilote sud-coréen qui dirigeait l’attaque, a désobéi aux ordres. Il ne pouvait se résoudre à détruire le Tripitaka », raconte Park Beom-sik. Reconnaissants, les moines ont érigé une statue à sa mémoire.
Un trésor à l’air libre
La plus grande « bibliothèque de bois » du monde repose à l’air libre, dans un pavillon ouvert aux vents secs et frais des monts Gaya, qui protègent le monastère. « Il y a des années, on a tenté de les entreposer dans un bâtiment moderne, en utilisant des techniques de conservation allemandes. Mais des moisissures sont apparues », explique Park Beom-sik. Les tablettes ont illico retrouvé leurs rayonnages d’origine.
Noircies par le temps et par l’encre, elles sont en fait des plaques d’impression : les idéogrammes sont gravés à l’envers. Une fois enduits d’encre, il suffit d’y apposer une feuille de papier pour reproduire à l’infini le message de Bouddha.
« En Corée, nous n’avons pas beaucoup de monuments historiques. Mais nous avons un patrimoine spirituel, et le Tripitaka en fait partie », souligne Kie Cheon Lee, représentant de la province de Gyeongnam, qui organise un grand festival de plusieurs semaines pour célébrer le millénaire des tablettes. « Ce n’est pas seulement une commémoration bouddhiste, affirme-t-il. C’est un évènement culturel très important, qui permet de comprendre nos fondations spirituelles ».
Du Tripitaka, les visiteurs n’en verront que les alignements des tranches, au travers des barreaux en bois du pavillon qui les abrite. Qu’importe : le voyage vaut plutôt pour l’atmosphère de sérénité intemporelle qui imprègne le lieu.
Du monastère en contrebas, aux heures de prière, résonnent les mantras, ces formules chantées et répétées à l’infini pour vider l’esprit, et faire en sorte que les pensées ne se fixent sur rien. Les moines de Haeinsa pratiquent un bouddhisme de type seon, ou zen. La quête de l’éveil, sous la présence bienveillante d’un trésor désormais millénaire.