De notre correspondante à Abbottabad
« On s’est réveillé en sursaut à 1h du matin parce que des hélicoptères volaient trop près de nos maisons. On a entendu des bruits d’explosion et de tirs. Quand on est sorti, il faisait nuit noire. Il n’y avait qu’une lumière, très forte, qui venait d’un hélicoptère et qui éclairait ce bâtiment », explique Mohamed Riaz, un riverain, en désignant du doigt la dernière demeure d’Oussama ben Laden. Une maison fortifiée, surplombée de barbelés, au milieu d’autres résidences alignées dans des champs.
Comme Mohamed Riaz, la plupart des habitants d’Abbottabad, une ville située à moins de 100 kilomètres de la capitale, sont encore abasourdis par le fracas du raid américain qui a couté la vie au fondateur d’al-Qaïda. Une mort apparemment programmée par les Etats-Unis qui ont annoncé que leur ennemi public numéro un n’était pas armé lorsqu’il a été tué.
Polémique autour du rôle joué par le Pakistan
La majorité du voisinage est toujours incrédule. « Les Américains sont fous, s’époumone, un vieil homme au shalwar kamiz –l’habit traditionnel - élimé. Qu’est-ce qu’Oussama serait venu faire ici, au bout du monde ? C’est impossible ». Appuyé contre le haut mur d’enceinte qui dissimule au regard la résidence du chef d’al-Qaïda, Abdul Rachid un commerçant reprend de plus belle : « C’est de la propagande, pourquoi ben Laden serait-il venu ici, il y a trois régiments et une académie militaire, sans compter les agences de renseignements, tout le monde l’aurait su s’il avait été là ». C’est bien ce qui fait grandir la polémique aujourd’hui.
La communauté internationale ne cesse de blâmer le Pakistan pour son ambiguité présumée à l’égard des extrémistes présents sur son sol. Comment l’homme le plus recherché de la planète que la rumeur disait caché dans les zones tribales, des régions montagneuses quasiment inaccessibles à la frontière afghane, aurait-il pu se terrer à Abbottabad sans bénéficier de complicité ? Depuis le début de la guerre contre le terrorisme, la plupart des cadres d’al-Qaïda ont été arrêtés dans les villes pakistanaises. Des lieux qui se sont sans doute avérés plus sûrs que les régions frontalières avec l’Afghanistan, sous la surveillance permanente des Etats-Unis, ou comme les zones tribales régulièrement pilonnées par les drones américains.
« Ils venaient régulièrement dans ma boutique avec leurs enfants »
Située à deux heures de route au nord de la capitale pakistanaise, Abbottabad vit sous haute sécurité abritant la plus prestigieuse académie militaire du pays. C’est là qu’ont été formés tous les généraux pakistanais y compris l’actuel chef de l’armée. C’est au bout d’un chemin de terre en pleine ville que se trouve la maison dans laquelle vivait Oussama ben Laden. Une bâtisse qui n’a rien de particulièrement notable, hormis sa taille et ses murs imposants.
Mais apparemment ce bunker n’a pas suscité beaucoup de questions chez les riverains. « On a pensé que la maison était construite comme ça parce que les propriétaires sont des Pashtouns du nord-ouest du pays et qu’ils voulaient se protéger des regards extérieurs, conformément à leur culture », explique le commerçant Abdul Rachid. « Moi, je connais les deux frères qui l’ont construite et qui y habitent », assure le quadragénaire sûr de lui. « Ils venaient régulièrement dans ma boutique avec leurs enfants, ajoute-t-il. Ils étaient très polis. On se saluait, on se disait bonjour. Ils ne cherchaient pas le contact mais on avait des rapport cordiaux, je n’ai jamais vu personne d’autre sortir de cette maison ».
La maison des secrets
Dans les rues attenantes, les échos sont quasiment tous identiques, à la différence près que certains évoquent les deux frères, d’autres les deux cousins. Mais rares sont ceux qui comme Javad affirment qu’il y avait dans cette maison plus de mystère qu’il n’y paraît. Javad, la trentaine et qui ne veut pas donner son nom complet, a souvent résidé chez de proches parents dans une maison adjacente.
« Nous, on ignorait l’identité des résidents mais on se doutait bien que c’était des Arabes, à leurs manières différentes des nôtres, au style dont étaient vêtues les femmes et aussi parce qu'une à deux fois par mois, ils commandaient des agneaux vivants pour les manger, ce qu’on ne fait pas régulièrement ici en dehors des fêtes religieuses, soutient Javad. Ils avaient un mode de vie très discret et brûlaient même leur poubelle à l’intérieur », souligne encore le jeune homme. Avant de s’interrompre, assurant qu’il ne veut plus parler par crainte des services de renseignement.
Aujourd’hui un cordon policier interdit toujours l’accès à l’intérieur de la maison mise sous scellés pour investigation criminelle et qui est loin d’avoir livré tous ses secrets.